Des tête-à-tête de politiciens qui font jaser

Les premiers ministres du Québec et de l’Ontario, François Legault et Doug Ford, trinquent à une distance que certains ont jugé non réglementaire.
Photo: Chris Young La Presse canadienne Les premiers ministres du Québec et de l’Ontario, François Legault et Doug Ford, trinquent à une distance que certains ont jugé non réglementaire.

Au moment où trois ministres ont dû se placer en isolement cette semaine par crainte d’avoir la COVID-19, certains se demandent si les politiciens ne devraient pas limiter leurs apparitions publiques aux seuls événements indispensables.

« Ont-ils vraiment besoin de se déplacer pour aller chercher de la visibilité ? » s’interrogeait mercredi l’analyste politique Luc Ouellet. Selon lui, on devrait reporter les annonces si « cela n’a pas d’impact sur le projet » et s’en tenir aux annonces « essentielles » et « urgentes ».

Plus tôt, à l’émission radiophonique de Paul Arcand, la députée indépendante Catherine Fournier concédait que certaines activités publiques devenaient « peut-être un peu superflues ».

Mme Fournier a dû se placer en isolement cette semaine parce qu’elle avait côtoyé la mairesse de Longueuil, Sylvie Parent, qui a contracté la COVID-19. Elle avait croisé la mairesse à une annonce dans une école de Longueuil et au dévoilement du plan du gouvernement sur les voies réservées.

Au sein du gouvernement, les ministres Simon Jolin-Barrette, François Bonnardel et Chantal Rouleau ont, eux aussi, dû se faire tester parce qu’ils avaient croisé la mairesse dans le cadre d’activités publiques. Leurs résultats étaient toutefois négatifs.

La crainte de la contagion a aussi traversé chez les solidaires, puisque la députée responsable du dossier de la langue, Ruba Ghazal, a récemment eu une rencontre de travail avec Simon Jolin-Barrette. Elle a donc quitté le caucus de son parti pour le suivre à distance depuis chez elle.

Mme Ghazal ne pense pas qu’il faille nécessairement réduire les activités des élus. « On est déjà invités à beaucoup moins d’événements », fait-elle remarquer. « Ma responsabilité, quand on m’invite, c’est que ce soit possible de respecter la distanciation dans la salle, etc. »

Elle juge en outre que les résultats négatifs reçus cette semaine par le ministre Bonnardel et les autres montrent « que les mesures mises en place par la Santé publique fonctionnent lorsqu’on les respecte à la lettre ».

Chez les péquistes, personne n’a été placé en isolement, mais dans les coulisses, on trouve que le gouvernement déplace beaucoup de ministres en région en dépit du contexte. « Ils peuvent faire leurs annonces à distance avec la technologie que nous avons aujourd’hui », faisait remarquer mercredi une source péquiste.

Les membres de l’équipe de François Legault ont repris leurs activités publiques dans la seconde moitié du mois de mai ; certains plus rapidement que d’autres.

Le PM doit incarner le message ! Distanciation sociale svp.

Mercredi, les ministres Nathalie Roy et Andrée Laforest ont annoncé l’injection de 21,6 millions supplémentaires pour protéger le patrimoine immobilier à McMasterville, alors que leur consœur Marie-Eve Proulx participait à un lancement à Lévis.

En revanche, au moins quatre ministres ont participé virtuellement à des activités auxquelles ils avaient été invités (Marguerite Blais, Mathieu Lacombe, Nadine Girault et Simon Jolin-Barrette).

Mardi, huit membres du Conseil des ministres étaient sur le terrain. Par exemple, Pierre Dufour était à Sainte-Brigitte-de-Laval pour la présentation vidéo des maquettes du nouveau Camp Mercier, et ses collègues Jonatan Julien et Andrée Laforest ont participé à deux événements à Saguenay. Vendredi, ils étaient une dizaine sur la route.

Une photo qui fait jaser

 

Selon la professeure en relations publiques de l’Université de Sherbrooke Marie-Ève Carignan, les manchettes sur la mairesse de Longueuil et les ministres en isolement ont eu des vertus pédagogiques. « Ça a donné à l’opinion publique la preuve que personne n’est à l’abri. »

Avec la COVID-19, « les gens ont besoin » des communications du gouvernement, insiste-t-elle. Mais qu’en est-il des communications qui ne portent pas sur la pandémie ? « C’est sûr que le gouvernement doit faire de la gestion de risque », rétorque la chercheuse. « Il faut évaluer les bénéfices d’une communication versus la prise de risque potentielle. C’est ce qu’on apprend à nos étudiants en communication stratégique. »

Enfin, dit-elle, ils cherchent visiblement, avec toutes ces annonces, à mettre en avant le message plus positif de « la reprise des activités économiques et scolaires ». D’un autre côté, le gouvernement doit veiller à ne pas perdre la confiance de la population. « Il faut être vigilant en tout temps dans le contexte actuel, surtout avec la montée de la suspicion et des mouvements qui dénoncent les mesures de santé publique en place. […] C’est sûr que ça appelle à une plus grande prudence. »

L’image de prudence du gouvernement a justement été écorchée mercredi par une photographie montrant le premier ministre Legault trinquant avec son homologue ontarien, Doug Ford, à une distance qui pouvait sembler inférieure à deux mètres.

Rappelons que le gouvernement préconise toujours une distance de deux mètres dans les lieux publics à l’extérieur, la distance de 1,5 m ne s’appliquant que dans les lieux où on est assis, immobile et où on parle peu, comme les salles de concert et les cinémas.

« Comment détruire un message de santé publique : hausser le ton et blâmer les Québécois et prendre cette photo quelques heures plus tard », a dénoncé la députée libérale Marie Montpetit sur Twitter. « Le PM doit incarner le message ! Distanciation sociale svp. »

Invité à réagir à Toronto, le premier ministre Legault s’est défendu d’avoir dérogé aux règles. « D’abord, ce qu’il est important de dire, c’est qu’on a respecté le port du masque jusqu’à tant qu’on soit assis à deux mètres. Le tchin tchin, d’abord, on n’a pas cogné les verres, mais on peut toujours faire plus attention. » « On peut toujours faire plus attention. Nos bouches sont restées à plus de deux mètres », a-t-il ajouté en riant.

Avec Mylène Crête

 

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