Les députés doivent-ils siéger en personne pour questionner le gouvernement?

Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il fermé il y a quelques années certains entrepôts de l’Agence de la santé publique et s’est-il départi d’une partie de leur contenu ? Pourquoi n’a-t-il pas fermé les frontières plus tôt pour freiner la propagation de la COVID-19 ? Pourquoi a-t-il fallu un tollé pour qu’il bonifie sa subvention salariale ?
Le chef conservateur Andrew Scheer ne manque pas une occasion de soulever ces questions et bien d’autres, mais c’est au premier ministre Justin Trudeau qu’il voudrait les poser et le faire en personne, sur le plancher de la Chambre des communes.
En vertu de la motion adoptée le 13 mars dernier pour suspendre les travaux parlementaires, les 338 députés fédéraux devraient reprendre le collier lundi à Ottawa, comme si de rien n’était. Et des centaines d’employés devront faire la même chose. À moins d’une entente entre les partis.
Au moment où ces lignes étaient écrites, aucun accord n’était encore intervenu. Pour une raison bien simple, les conservateurs exigent de reprendre la formule utilisée à deux reprises depuis le 13 mars pour adopter les deux projets de loi d’aide d’urgence. On a alors réuni un nombre restreint de députés de tous les partis, assis à une distance sécuritaire l’un de l’autre, pour poser des questions, débattre des projets de loi et voter.
Les conservateurs veulent qu’on siège de cette manière plusieurs jours par semaine tant et aussi longtemps que la crise durera. Le Parlement est un service essentiel, dit Andrew Scheer, il lui incombe de tenir le gouvernement responsable et de se pencher sur les mesures proposées. En temps de crise, ce travail est plus que nécessaire et la façon la plus efficace de le faire est en personne, insiste-t-il, accusant au passage les libéraux de vouloir museler le Parlement.
Le gouvernement, lui, veut bien reprendre la formule, mais un seul jour par semaine d’ici la mise en place d’une Chambre virtuelle. Cette méthode permettrait à plus de députés de participer, dit-on, tout en respectant les recommandations en matière de santé publique. Le NPD et le Bloc québécois sont d’accord en principe avec le gouvernement, pourvu que le Parlement virtuel voie rapidement le jour.
Les conservateurs s’entêtent peut-être dans l’espoir d’obtenir plus de visibilité, mais ils n’ont pas tort d’exiger du gouvernement qu’il rende davantage de comptes. Les discours et les conférences de presse à répétition ne peuvent servir de substitut à l’obligation des ministres et du premier ministre d’être responsables devant les élus. En système parlementaire de type britannique, l’existence du gouvernement repose sur la confiance que lui témoigne la Chambre. C’est à elle ultimement qu’il doit répondre de ses actes et décisions. Et depuis le début de cette crise, rares sont les jours sans nouvelles annonces assorties de factures salées.
Piste de solution
D’autres démocraties parlementaires, de la Grande-Bretagne à l’Australie en passant par la Nouvelle-Zélande, font face actuellement à des débats similaires. Les partis d’opposition s’y inquiètent de ne pas pouvoir demander des comptes aux gouvernements en place.
À Québec, on a trouvé une piste de solution après que les trois partis d’opposition ont exigé de questionner les ministres responsables de la réponse à la crise. Le premier ministre François Legault continuera de rencontrer deux fois par semaine les chefs des autres partis. Les travaux de l’Assemblée nationale qui devaient reprendre dès mardi attendront le début de mai. Entre-temps, des interpellations de ministres auront lieu de manière avant tout virtuelle.
Professeur à l’Université Laval, le politologue Éric Montigny rappelle que « dans notre culture politique, le Parlement joue un rôle central, tant sur le plan de l’ordre du jour politique que du contrôle gouvernemental. En même temps, lorsqu’une crise de cette ampleur survient, les gens s’attendent à ce que ce soit l’exécutif qui apporte des solutions, ce qui met les partis d’opposition dans une position délicate. Ils doivent jouer leur rôle de contrôleur sans empêcher le gouvernement d’agir. »
Les conservateurs fédéraux ont raison sur le fond, le gouvernement doit rendre des comptes, mais les moyens que M. Scheer privilégie semblent avant tout répondre à des intérêts partisans. Le gouvernement, pour sa part, peut bien affirmer sa foi en la démocratie parlementaire, mais offrir une seule journée de travaux par semaine d’ici la mise en place d’une Chambre virtuelle n’en est pas la meilleure démonstration.
Des comités se réunissent déjà de cette manière, mais le cas de la Chambre est beaucoup plus complexe. Le 9 avril, le président, Anthony Rota, disait avoir besoin d’au moins quatre semaines pour y parvenir. Et il y a les règles. Un comité parlementaire se penche sur la question depuis jeudi. Il faut entre autres garantir l’intégrité des votes et la participation des députés de régions sans Internet haute vitesse.
Si un retour du Parlement, en formation réduite et dans le respect des directives de la santé publique, peut se faire, il demeure cependant « qu’un retour d’une présence physique régulière en Chambre enverrait le signal à la population qu’on amorce un retour vers la normalité. Il y a là une symbolique très forte », souligne M. Montigny.
Et on peut se demander si cela serait cohérent avec la poursuite des efforts de tous pour freiner et faire reculer l’épidémie.