Du ski chez les cowboys à Jackson Hole

De la neige à profusion, un cadre naturel éblouissant, un parc national grandiose et une petite bourgade digne du Far West: ainsi se présente Jackson Hole, destination prisée par les vrais skieurs en quête de ski vrai et authentique.
J’ai les quadriceps gonflés à bloc, les mollets flapis et les rotules qui veulent se décapsuler de mes genoux malaxés, mais j’ai le moral dans le plafond et je frise le paroxysme de l’exaltation : en trois heures, j’ai enfilé sans répit plusieurs descentes enlevantes et exténuantes du Jackson Hole Mountain Resort, dans le Wyoming. Dans cette station de ski adulée et adossée aux prémices des Rocheuses, les pentes ne sont pas lentes et elles ne donnent que rarement du répit. Les pistes vertes sont des bleues, les doubles bleues (oui, ça existe) sont plus raides que des noires et les noires sont résolument costaudes. Quant à celles qui sont doublement diamantées, elles sont aussi dures que du carbone.
« C’est une station réputée pour être fréquentée par de vrais skieurs, pas par ceux qui veulent uniquement se faire voir et montrer leur équipement », assure Ryan Ravinsky, né à Beaconsfield, P. Q., et fier guide à Jackson Hole depuis un quart de siècle.
Vrai que les murs neigeux abrupts, fortement bosselés, se suivent ici sans se ressembler. Sûr que le dénivelé de 1200 m donne droit à de looooongues descentes qui ont tôt fait de vous achever les gambettes, et qu’il faut faire gaffe pour ne pas se retrouver contre son gré dans un secteur pour kamikazes. « Ici, on ne ferme jamais les pistes, on ne fait que planter un panneau pour indiquer de faire attention, quand les conditions sont minimales ou risquées », explique Ryan.

Car à Jackson Hole, les défis skiables se comptent par dizaines, le plus corsé étant sans contredit le fameux Corbet’s Couloir, « America’s biggest, baddest and boldest ski run », une chute libre à 90 degrés suivie d’une courbe raide qui donne sur une piste étroite, abrupte et emmurée entre deux falaises.
Mais il ne faut pas pour autant fuir cette splendide station si on est néophyte : certes, la moitié du domaine skiable s’adresse à des skieurs chevronnés, mais l’autre moitié vise des adeptes de niveau intermédiaire ou débutant. « Et puis, peu importe la piste que tu empruntes, tu finis toujours par tomber sur une des nombreuses traverses, de longues pistes de faible inclinaison qui zigzaguent dans tout le domaine skiable », assure Ryan. Les emprunter fait même durer le plaisir — jusqu’à 30 minutes pour atteindre la base de la montagne.
Cela dit, ceux qui veulent renifler de la poudreuse à pleins poumons ont le loisir, une fois au sommet, d’accéder au Grand Teton National Park, sur l’autre versant du massif montagneux. À condition d’y aller au moins à deux et de partir avec pelle, sonde et balise d’avalanche. Car de la neige, il y en a ici à profusion : il y a deux semaines, lorsque le Québec héritait de 50 cm de flocons, Jackson Hole et ses environs en recevaient 1,2 m en quatre jours.
Depuis son inauguration en 1963, seules deux familles indépendantes ont dirigé le Jackson Hole Mountain Resort : la première, visionnaire, qui a eu la révélation ; et la seconde, multimillionnaire, qui l’a développée. Depuis 1992, les Kemmerer ont ainsi investi pas moins de 180 millions de dollars, après avoir hérité d’un empire du charbon et s’en être départis, passant de l’or noir à l’or blanc.
« L’une des sœurs Kemmerer, c’est le genre de patronne qu’on veut tous avoir : elle est constamment sur le terrain, toujours en train de skier ! » dit Ryan. Témoin en est cette anecdote : un jour, durant les Jeux olympiques de Sotchi, il l’a croisée sur les pentes. « Je croyais que vous deviez vous rendre en Russie ? » lui a-t-il demandé. « Oui, mais on annonce des tonnes de neige à Jackson, je ne voudrais pas rater ça ! » de répondre la copropriétaire de la station.
C’est à la famille Kemmerer qu’on doit la présence de l’Aerial Tram, l’actuel téléphérique qui a remplacé l’ancien, en 2008. Remontée emblématique de la station, elle fait passer 100 skieurs de 1924 mètres à 3185 mètres, de la base de la montagne au sommet du mont Rendez Vous, le tout sur fond de musique tribale-métal, techno-western ou digne de Woodstock, selon l’opérateur sur lequel on tombe, et qu’on apprécie ou qu’on supporte pendant les 18 minutes de la remontée.
Du haut de ce sommet, ainsi baptisé en souvenir des trappeurs canadiens français venus jadis s’adonner à la traite des fourrures ici, une immense vallée se déploie, de part et d’autre de la station. Droit en face, le Sleeping Indian — un massif ainsi nommé pour sa ressemblance avec un Amérindien assoupi — semble veiller sur les troupeaux de wapitis qui évoluent par centaines dans le Grand Teton National Park, absolument splendide, et qui attire à lui seul des adeptes de plein air venus de partout aux États-Unis et d’ailleurs pour travailler dans la région.
Ici, on ne ferme jamais les pistes, on ne fait que planter un panneau pour indiquer de faire attention, quand les conditions sont minimales ou risquées
Il faut dire que Jackson Hole, qui ne compte même pas 10 000 âmes, forme une petite bourgade très agréable avec sa dégaine western, ses trottoirs de bois, ses passages couverts et ses bars aux allures de saloon. Au Million Dollar Cowboy Bar, les grizzlys et les pumas empaillés côtoient une piste de danse en ligne et un interminable bar, jalonné de vitraux sur la conquête de l’Ouest et flanqué de selles de cheval en guise de tabourets. « Les clients n’y sont pas déguisés en cowboys : ce sont des cowboys », assure Ryan.
Ces dernières années, Jackson Hole a aussi vu champignonner microbrasseries, bars à vins et excellentes tables, à mesure que la station de ski et le parc national gagnaient en popularité et en notoriété.
« Quand j’étais tout jeune, je suis tombé sur un article sur ce parc national et, quand j’ai vu les photos de ces montagnes formidables, j’ai tout de suite su qu’il fallait que je vienne ici un jour », confie Ryan. Plusieurs années plus tard, il a tenu parole et a quitté sa suffocante Floride, où ses parents s’étaient établis, pour atterrir à Jackson et ne plus jamais en repartir.
Après quelques jours passés à dévaler les pentes, à dormir sous la tente dans le parc national et à grimper près des flancs des South, Middle et Great Teton, je suis bien obligé de lui donner raison.
L’auteur était l’invité d’Arc’teryx et du Jackson Hole Mountain Resort.
En vrac
Le domaine skiable du Jackson Hole Mountain Resort est situé à environ cinq heures de vol de Montréal (via Chicago). Il est ouvert jusqu’à la mi-avril, lorsque débute la migration des wapitis. Le billet de remontée n’est pas donné : 170 $US / jour (136 $US la demi-journée), mais les forfaits de plusieurs jours sont plus avantageux.
Voisin immédiat de la station de ski, le Grand Teton National Park fourmille de possibilités de raquette, de fatbike, de ski nordique et de ski de montagne. Dans ce dernier cas, le tout se mérite au terme de plusieurs heures de grimpette avec peaux d’ascension et nécessite un guide, idéalement d’Exum Mountain Guides.
En février de chaque année se déroule l’Arc’teryx Backcountry Academy, qui donne lieu à une foule d’ateliers d’initiation (ski de montagne avec ou sans camping d’hiver, ski mountaineering, initiation à la planche divisible [splitboard], etc.). L’équipementier canadien organise également de tels événements l’été, à Squamish (Colombie-Britannique) et à Chamonix, en France.
S’il est possible de loger au pied des pentes de la station, au Teton Village (un joli mini-village à la Tremblant, bourré de bars, de cafés et de restos) et d’avoir ainsi droit à du ski aux pieds, l’hébergement y est assez coûteux. À Jackson Hole (30 minutes de bus), le Mountain Modern Motel constitue un bon rapport qualité-prix : dehors, l’endroit a tout d’un motel ; à l’intérieur, les chambres sont décorées façon hôtel-boutique. À compter de 110 $US par nuit pour une chambre avec petit-déjeuner.