Quand affaires et loisirs s’entremêlent

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
L’industrie du voyage tente d’attirer une nouvelle génération de professionnels qui ne dressent plus vraiment de frontières entre leurs activités professionnelles et personnelles.
Photo: iStock L’industrie du voyage tente d’attirer une nouvelle génération de professionnels qui ne dressent plus vraiment de frontières entre leurs activités professionnelles et personnelles.

Ce texte fait partie du cahier spécial Tourisme d'affaires

Pourquoi ne pas profiter d’un voyage d’affaires à Papeete ou à Honolulu aux frais de son employeur ou d’un organisateur de congrès pour découvrir un peu le coin ? C’est la question que se posent de plus en plus de travailleurs et à laquelle ils répondent en prenant quelques jours de vacances avant ou après, voire en emmenant femme et enfants avec eux. Cette tendance, de plus en plus populaire au niveau international, a désormais un nom : le «bleisure», contraction de «business» et «leisure», affaires et loisir.

Le bleisure, Aude Lafrance-Girard est tombée dedans un peu par hasard. « Naturellement, nous dit celle qui est aujourd’hui la directrice générale de l’hôtel Château Laurier à Québec. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’aller en Allemagne et au Japon pour un voyage d’affaires. Ce sont des destinations vers lesquelles je n’étais pas encore allée en tant que touriste et qui m’attiraient. Je ne savais pas quand je pourrais y retourner. Alors, j’ai demandé à mon patron de l’époque si je pouvais prendre une semaine de vacances pour visiter. »

Exactement ce que l’on nomme aujourd’hui le bleisure donc, cette tendance du tourisme d’affaires qui consiste à mêler le travail et le loisir, la vie professionnelle et la vie personnelle.

« L’intérêt pour le salarié qui est envoyé en congrès à l’autre bout de la terre, c’est que le voyage et une partie de son hébergement lui sont payés, explique Paul Arseneault, détenteur de la Chaire de tourisme Transat de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il a donc la bourse pleine pour ajouter quelques nuits d’hôtel et s’offrir de petits moments de plaisir. »

Bleisure et workventure

 

Si le phénomène du bleisure n’est pas nouveau, il devient cependant de plus en plus populaire. Selon The Global Business Travel Association, près de 40 % des voyageurs d’affaires nord-américains ont prolongé leur séjour pour des activités d’agrément au cours de l’année 2017, rapporte le réseau de veille en tourisme, un organisme rattaché à la Chaire de tourisme de l’UQAM. Cette tendance est par ailleurs beaucoup plus présente chez les millénariaux (48 %) que chez les baby-boomers (23 %). Et elle se décline même maintenant en de nouveaux concepts.

On parle en effet de plus en plus de bleisure, qui correspond à la contraction de business (affaires) et leisure (loisir). Ce concept vise les jeunes professionnels, qui estiment que les voyages d’affaires constituent une partie agréable de leur travail et y prennent plaisir puisqu’il s’agit d’une occasion pour eux de découvrir une nouvelle région ou un nouveau pays. Une autre déclinaison du bleisure convient à ceux qui prolongent leur séjour d’affaires en cherchant à vivre de nouvelles expériences. On parle alors de workventure.

« Le milieu du tourisme d’affaires découvre aujourd’hui que la génération Y, et encore plus les Z qui vont arriver après eux, ne trouve pas ça du tout excitant de rester toute une journée dans des salles de réunion sous une lumière de néons, note M. Arseneault. Elle a une capacité d’attention inexistante lorsqu’elle s’ennuie. Pour qu’elle accepte des invitations dans des congrès ou qu’elle ne passe pas sa journée sur ses réseaux sociaux en faisant semblant d’écouter, il va falloir s’adapter et lui faire des propositions plus séduisantes. »

Forfaits bleisure

 

L’industrie le fait déjà depuis quelques années en intégrant au programme des congrès des sorties dans la région ou des rencontres dans un restaurant ou un bar des alentours. Mais ce n’est pas suffisant. Paul Arseneault croit que ce que recherchent les jeunes travailleurs aujourd’hui, c’est vivre une expérience.

« Ce terme est utilisé à toutes les sauces, et cela prête à sourire, admet-il. Mais c’est peut-être aussi parce qu’il s’agit d’une réalité. Expérience durant le congrès en faisant appel à des intervenants ayant un propos original, qui sorte des sentiers battus. Expérience également autour du congrès. Ce qu’ils souhaitent, c’est sortir de là en étant une meilleure personne. »

Or, non seulement les millénariaux représentent actuellement environ un tiers de tous les passagers sur des vols d’affaires aux États-Unis (et cette proportion devrait augmenter à 50 % d’ici 2020, alors que celle des baby-boomers baissera à 11 %), mais en plus, au fur et à mesure qu’ils avanceront dans leur carrière, leur pouvoir de décision au sein de leur entreprise s’accroîtra, et avec lui naîtra une nouvelle forme de séjours d’affaires.

Ainsi, de plus en plus d’hôtels proposent le tarif congrès aux congressistes quelques jours avant et quelques jours après l’événement professionnel qui se tient dans leur établissement. D’autres, comme les hôtels Days Inn au Canada, ont créé le tarif « vacances d’affaires », qui permet d’économiser jusqu’à 15 % sur le meilleur tarif disponible.

Le réseau de veille en tourisme note également qu’à l’international, The Orchard Hotel, à Singapour, commercialise un forfait « Bleisure Experience » en mettant en avant ses installations, comme sa piscine et son bassin à remous, et en invitant les voyageurs d’affaires à visiter la ville. Avec le slogan « Work Hard Play Hard », les Pullman Hotels and Resorts se fixent pour objectif d’enrichir l’expérience client en entremêlant l’univers du jeu avec celui du travail. Quant à L’Hotel G, situé à San Francisco, il propose une promotion « Bleisure at the G », qui permet d’utiliser les transports en commun, d’obtenir des rabais dans plusieurs attraits de la ville et d’accéder à un espace de travail partagé durant une journée.

Nouvelles technologies

 

L’industrie tente ainsi d’attirer cette nouvelle génération de professionnels qui, grâce aux nouvelles technologies, ne dressent plus vraiment de frontières entre leurs activités professionnelles et personnelles et peuvent travailler de n’importe où dans le monde pour peu qu’il y ait une bonne connexion Internet.

Ce n’est cependant pas vrai pour tous les secteurs et, malgré l’évolution des technologies, certains travailleurs demeurent plus sédentaires. C’est le cas de l’hôtellerie, industrie dans laquelle travaille Aude Lafrance-Girard. Le bleisure, la jeune femme y réfléchit tant pour son établissement que pour elle et pour ses salariés qui pourraient être tentés

L’hôtel Château Laurier fait partie de ceux qui proposent le tarif préférentiel négocié par l’organisateur de congrès à ceux qui voudraient prendre quelques nuits de plus. Il dispose également d’une piscine et d’un spa, et communique sur le fait d’être particulièrement bien placé, au coeur du Vieux-Québec, pour que le visiteur et sa famille puissent profiter, par exemple, du Carnaval ou encore du Festival d’été.

En tant que directrice, Mme Lafrance-Girard étudie également toutes les demandes des employés, qui souhaitent prolonger un voyage d’affaires.

« Ce n’est pas toujours possible, car nous avons des contraintes en tant qu’entreprise, note-t-elle. Mais nos employés ont travaillé fort pour arriver au point d’être invités à participer à un congrès à l’extérieur du pays, parfois dans des endroits de rêve. Avant de dire oui, on se pose la question de savoir si on peut se permettre que telle personne quitte son poste deux semaines plutôt qu’une. Mais c’est quelque chose que nous valorisons. »

Les jours en plus sont alors à la charge de l’employé et ils sont pris sur les congés payés ou sans solde.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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