À Pachino, le pays du nero d’avola

Trois crus qui cochent ici les cases du grand vin!
Photo: Eve Bambara Trois crus qui cochent ici les cases du grand vin!

L’incursion dans les Pouilles ici même le 9 mai dernier avec le cépage negroamaro invite tout naturellement à se déplacer vers les ultimes frontières sud de l’Italie, à peu près à la même latitude que la Tunisie, sise plus à l’ouest. Nous sommes en Sicile cette fois, mais à l’extrême pointe sud-est d’une île dont l’Etna est sans conteste la star volcanique. Le sympathique Matteo Catania, de la maison Gulfi, nous y attendait pour une visioconférence dont le seul inconvénient résidait dans le fait de ne pouvoir fouler avec lui les 40 hectares de vignoble familial du côté de Pachino.

À plus de 7000 kilomètres de là, trois de ses cuvées particulièrement en verve dégustées en sa compagnie libéraient de la bouteille un génie si jaseur que je ne pouvais m’empêcher d’évoquer ce negroamaro du continent qui m’avait alors fasciné, non seulement en raison de ses nobles aspirations paysannes, mais aussi en raison de sa parfaite adéquation cépage-terroir-climat-environnement. Ce fameux « somewhereness » évoqué par les Anglo-Saxons.

Le negroamaro (le noir amer) est au terroir des Pouilles ce que le nero d’avola (le noir d’Avola, ou Calabrese), soit ce « calau aulisi » identifié comme étant « celui qui se trouve géographiquement sous la commune d’Avola », est à la région de Pachino. « Il y a du côté de Pachino, au sud de la commune d’Avola, parmi les contrade [contrées régionales] Bufaleffj, Maccari et San Lorenzo, une concentration exceptionnelle de tous les terroirs et sous-sols que recèle la Sicile », expliquait un Matteo Catania persuadé que le nero d’avola est à Pachino ce que le nebbiolo est au Barolo et le sangiovese au Brunello di Montalcino.

Serions-nous ici en terre de prédilection du grand nero d’avola ? Les trois crus actuellement disponibles, mais en quantités limitées, m’invitent à le penser. Nettement plus fin et plus profond que le negroamaro, bien qu’il ait un profil qui s’en rapproche, ce pur nero d’avola offre de plus une remarquable perspective d’évolution en bouteille, en raison de sa trame tanique serrante et fine doublée d’un pH très bas (3,3) qui lui assure une vivifiante tonicité. Une incongruité dans un paysage parmi les plus secs, les plus chauds et les plus lumineux de la planète, où l’irrigation est interdite et où, pour reprendre les mots de Matteo, « il faut adapter la taille en fonction de l’environnement pour préserver l’équilibre des cuvées ».

C’est la sapidité, cette perspective dynamique qui, en bouche, fait « salivaler », qui s’impose rapidement à la dégustation, avec cette impression d’alléger un titre alcoométrique dans une perspective plus digeste. Ici, les trois crus issus de l’agriculture biologique cochent spécifiquement les cases du grand vin, à savoir qu’ils racontent une histoire singulière qui est la leur, qu’ils possèdent cette capacité de se bonifier en bouteille bien au-delà d’une décennie, qu’ils expriment les variations subtiles du terroir ou, encore, qu’ils se démarquent et s’assurent d’une régularité d’interprétation exemplaire dans le temps. À des prix qui, ici, sont parfaitement cohérents avec ce qui a été mentionné précédemment.

Sanloré 2017 (63,25 $ – 15086601). Évitez le descriptif affiché sur le site de la SAQ, qui indique que « le Nero Sanloré 2017 est la beauté poussiéreuse, épicée et élégante de la gamme Gulfi Nero d’Avola… […] Une subtile couche de tannins persiste, mais ne gêne pas car cela se termine sur des minéraux doux et un soupçon de mandarine ». Imaginez plutôt la finesse d’un barbaresco aux accents plus ténébreux, au goût de fruits secs et à l’allonge remarquable. À moins d’un kilomètre de la mer et à une altitude d’une dizaine de mètres seulement, un rouge qui s’assume, sans une goutte de merlot pour le pervertir. (5+) © ★★★★

Bufaleffj 2017 (63,25 $ – 15086610). Rondeur et plénitude, courbes et arabesques fruitées des plus sensuelles et épicées sur un ensemble éclatant, captivant, long en bouche. (10+) © ★★★★

Maccàrj 2017 (51,75 $ – 15086599). À peine plus austère, et d’une remarquable densité fruitée, structurant la bouche avec fraîcheur, race et autorité, de haute sève. « Minéralisant ! » (10+) © ★★★★

L’ami Jacky s’en est allé

L’ami Jacky Blot, maître du chenin blanc, mais surtout un type d’une générosité sans borne, a trouvé la mort à 75 balais le 15 mai dernier. Toute la Loire, mais aussi les nombreux amateurs de montlouis-sur-loire, de vouvray et de bourgueil, dont je suis, a sans doute le vin triste aujourd’hui. Le fiston Jean-Philippe reprend les rênes d’un vignoble non seulement traité aux petits oignons (bios), mais révélateur de fruits dont les vins tranchaient par leur luminosité et leur intégrité. Venez le rencontrer à votre tour avec quatre cuvées — Domaine de la Taille aux Loups « Bretonnière » 2020 (45,75 $ – 12098025 – (5+) ★★★ 1/2), « Clos Mosny » 2020 (42 $ – 123036740 – (10+) ★★★★), « Clos de Venise » 2020 (50,75 $ – 13597109 – (10+) ★★★★), « Haut de Husseau » 2020 (43,25 $ – 13597141 – (5+) ★★★★ — en relisant la chronique L’ami Jacky rédigée il y a moins d’un an. Salut l’ami !

Amis lecteurs,

Ce sont 30 années de chroniques vins qui se terminent avec celle que vous avez sous les yeux aujourd’hui, mais je poursuis l’aventure avec vous sous un autre format dans le cahier Plaisirs du Devoir, qui paraît les samedis. C’est un rendez-vous, donc !

À grapiller pendant qu’il en reste !

Château de Luc 2020, Famille Fabre, Corbières, France (18,50 $ – 15095399). Du corbières blanc ? Non seulement est-il rare, mais il n’a jamais été aussi pertinent qu’avec cet assemblage où la roussanne domine largement ! Les Fabre l’ont de plus traité comme un grand blanc, avec un élevage princier et une vinification précise et inspirée. Un blanc sec opulent, au goût miellé d’amande, à l’acidité discrète, d’un équilibre parfait. Belle affaire à ce prix ! (5) ★★★

Le Bois du Cerf, Domaine Vico, Corse (24,60 $ – 15097706). L’île de Beauté n’a pas la cote au Québec et ses vins demeurent confidentiels. Dommage. Certains sont époustouflants pourtant. Cet assemblage niellucio-sciacarello donne ici le ton par l’entremise d’un rouge sec, à la fois simple d’expression et convaincant de caractère. Nous sommes dans un registre fruits secs et épices, avec un corps moyen et des tanins pourvus de relief et d’une belle fraîcheur. Le ragoût porc et olives a aimé. (5) ★★ 1/2

Esprit de Gloria 2018, Saint-Julien, Bordeaux, France (48,50 $ – 15136277). La dominante de cabernet sauvignon trône ici sur un socle de tanins fins et abondants qui soutient à merveille ce second vin de Gloria de l’écurie Martin. Attention cependant, bien étoffé, il ne dévie pas de sa trajectoire, trop occupé qu’il est dans ce millésime à soutenir une mâche ferme, un rien austère, mais d’une race incontestable. Un vin de soir et de gastronomie. (5+) © ★★★

Mercurey 1er Cru « Clos des Myglands » 2020, Domaine Faiveley, Bourgogne (61,75 $ – 147959). La côte chalonnaise a toujours eu l’habitude de livrer des rouges étoffés et consistants dans cette appellation, mais le millésime solaire 2020 en rajoute non pas une, mais deux couches d’épaisseur ici ! Ajoutez-y le style précis, orienté et sans concessions de cette maison qui sait « faire attendre » ses cuvées en les comprimant en jeunesse pour mieux les voir s’épanouir ultérieurement longuement en bouteille. Un solide vin de mâche et de fruit, généreux mais aussi fort digeste malgré la sève et la puissance de l’ensemble. On en a pour son argent. (10+) © ★★★★

Beaune 1er Cru « Les Perrières » 2020, Domaine de Bellene, Bourgogne, France (135 $ – 15084260). Tout là-haut, à plus de 300 mètres, entre les crus « à l’Écu » et « en l’Orme », tout juste au-dessus de la parcelle « en Genêt », ce cru ajoute sa touche de singularité à la subtile palette de beaux terroirs qui veillent sur la commune de Beaune sise en contrebas, la gratifiant du coup de blancs parmi les plus élégants de la planète vin. Ce Perrières joue de discrétion et de subtilité, comme s’il ne voulait pas déranger. On y revient parce qu’il insiste, intégrant son fruité fin de poire aux notes d’élevage qui, dans ce millésime généreux, s’intègrent et se lovent longuement. Un blanc sec passablement tendu, intense et soutenu, dont le terroir affleure en raison d’un caractère minéral prégnant. On vise ici beaucoup plus qu’une décennie de bouteille tant le vin est racé. (10+) © ★★★★



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