Bordeaux dans la marmite ?

Hottes, paniers et… merlots à cueillir.
Jean Aubry Le Devoir Hottes, paniers et… merlots à cueillir.

Tournent cépages

Tournent

 

Au-dessus des verres

Tourne ces pages

 

Au-delà des vers

Comme autant de feuilles de vigne

 

Racontant le temps du vin à venir…

Vous lirez ces lignes alors que je serai aux premières loges à Bordeaux pour vivre une vendange 2022 hors du commun. Où allons-nous ? Trop tôt pour raconter le vin à venir. Mais les pics caniculaires d’un été débridé et « épicé » sous les incendies monstres de juillet et d’août en Gironde permettent déjà d’affirmer que rien ne sera plus jamais comme avant. Avant ? Avant 1982 et Robert Parker, avant aussi 2003 et son Vinexpo où j’ai souvenir, dans le stationnement de la foire commerciale en question, de mes chaussures littéralement avalées sous la mélasse d’un bitume follement amoureux de mes semelles.

Sabrons les euphémismes de pacotilles pour dire les choses comme elles sont. Sous l’écriteau « changement climatique » (qui affecte les vignobles, mais aussi, bien sûr, les productions maraîchères et autres) est désormais lisible l’expression « catastrophe climatique ». Pertes de rendements, pertes de revenus, pertes d’emplois sont déjà monnaie courante. Mais aussi perte de repères, d’identités. Elles redessinent le profil bien établi des régions, des vignobles, des cépages, bref, des appellations contrôlées désormais en perte de maîtrise de leur fameuse « typicité ».

Où en est Bordeaux dans cette marmite ? À des années-lumière des petits degrés et baies en sous-maturité qu’offrait une majorité de vins, certes digestes et légers, mais aussi parfois minces et étriqués qui avaient pignon sur verre au milieu du XXe siècle. Syrah, grenache noir ou tempranillo détrôneront-ils, par exemple, le merlot sur la Rive droite ou l’irrigation — pour autant que les ressources hydriques soient disponibles — sera-t-elle systématique pour soutenir une biodiversité désormais bouleversée ?

L’homme, qui imagine toujours avoir un coup d’avance sur la nature, est tout de même habile. On n’efface pas deux millénaires de viticulture en criant ciseau ou sécateur. La Burdigala contemporaine n’a jamais livré autant de beaux flacons, des plus modestes aux plus somptueux, et ce, dans une large gamme de prix. Les pratiques culturales évoluent (taille, densité, etc.) alors que l’agroforesterie et le passage en bio se développent durablement, mais les écueils demeurent. Grêles et pluies diluviennes en été jouent violemment de contrastes bien au-delà de ce que la vigne peut supporter. Le dicton qui veut que « la vigne livre le meilleur d’elle-même lorsqu’elle souffre » est dépassé. Elle veut simplement aujourd’hui avoir la paix. C’est mal parti.

Mon seul regret, alors que je suis sur place, est de n’avoir pu rencontrer le plus-que-singulier Jean-Pierre Boyer au Château Bel-Air Marquis d’Aligre, à Margaux, bien que j’aie dormi à même le pavé devant la grille du domaine. Mais, dos en compote ou pas, je vous causerai à mon retour de Pontet-Canet, de Haut-Bailly et de Lafite, mais aussi d’une belle ribambelle d’autres crus du Médoc. En attendant, pour accompagner votre rosbif du dimanche, je vous laisse avec ce Charme de Cos Labory 2016, du côté de Saint-Estèphe (42,75 $ – 15029834 – (5) © êêê 1/2 ), où domine un cabernet sauvignon fondu et de belle maturité, frais et finement épicé, déjà d’une remarquable plénitude.

Un grand monsieur s’éteint

Christian de Billy avait du pétillant, mais surtout une classe, un raffinement à l’instar du beau vin de Champagne. Il montait à bord d’un dernier train de bulles le 26 août dernier, laissant aux hommes derrière lui, empêtrés dans une planète qui va à vau-l’eau, ces nombreuses cuvées de Pol Roger taillées à son image. Et ils en auront besoin.

Nos nombreuses rencontres s’échafaudaient non seulement sur la complexité d’exécution du fameux vin d’Épernay, mais aussi sur sa « prise émotive », telle une exaltante prise de mousse sur celle ou celui qui en faisait l’expérience.

Pour la petite histoire, Christian de Billy, fils de l’officier d’aviation Jean de Billy et d’Antoinette Pol-Roger, intégra la Maison Pol Roger, puis, en 1955, épousa Chantal Budin, dont la famille était propriétaire d’une maison voisine, également très prestigieuse : Perrier-Jouët.

À grappiller pendant qu’il en reste !

Adalia 2021, Camerani, Soave, Vénétie, France (23,80 $ – 13986008) Simplement délicieux, vraiment. Un blanc sec qui vous tient en haleine sur le bout de la langue et la pointe des pieds, par sa précision et ses saveurs déposées avec délicatesse. Rien de trop complexe, mais d’une franchise à faire sourire, surtout accompagné de fleurs de courgettes farcies ou d’aubergines grillées gratinées. (5) ★★★
 

Bastide de la Ciselette 2021, Bandol rosé, France (26,50 $ – 13184056) Pêche, melon de Cavaillon, mangue fraîche et citron confit précisent, sur une robe très pâle, un profil délicat, vivant et fin de texture. Mais aussi, par son volume, susceptible d’accompagner à merveille guédille au homard et soupe de poisson. Non, il n’y a pas de saison pour boire du bon rosé. Celui-ci en est la preuve, une fois de plus. (5) ★★★ 1/2
 

Nebbiolo 2020, Josetta Saffirio, Langhe, Piémont, France (28,65 $ – 13478281) J’adore cette maison. Tout y est ordonné, dans une rigueur qui n’étouffe toutefois pas l’émotion. Le fruité y est mûr et pourvu de tanins fins et expressifs, tout en ventilant une structure cohérente, jamais excessive. Bref, un régal avec un sauté de veau aux chanterelles. (5) © ★★★
 

À déguster aussi, de la même maison, le Barbera d’Alba Superiore 2020 (24,35 $ – 13593183). (5) ★★★
 

Furd 2019, Pinot Gris, Mélanie Pfister, Alsace, France (28,30 $ – 14000546) Nous sommes ici sur le lieu-dit Furdenheimer, exploité par cette maison familiale qui, visiblement, en tire parti avec maestria. S’il demeure timide au nez, ce pinot gris gagne une ampleur inhabituelle en bouche, densifiant et énergisant un fruité sous une tension minérale manifeste. Un superbe flacon pour cuisine gastronomique. (5) © HHH1/2
 

Chenin blanc « Poil de Lièvre » 2021, Domaine Calvez Bobinet, Vin de France (33 $ – 15051986) Une expression fort heureuse du chenin blanc livré dans son atout le plus simple, mais aussi le plus authentique, le plus convaincant. L’intégrité y règne au premier coup de nez, alors que la bouche, déjà en mode actif sous la salinité, offre à la fois de jolis amers et une longueur plus qu’appréciable. Très bon. (5) © HHH1/2
 

Fleurie « Les Moriers » 2020, Domaine Grégoire Hoppenot, Beaujolais, France (37,50 $ – 14921281) Grégoire Hoppenot est sensible au climat. Son site le définit ainsi : « Le climat est une combinaison des éléments naturels (géographiques, géologiques, pédologiques, végétaux, climatiques) qui, combinés à l’action actuelle et historique de l’homme, donne un produit spécifique, non reproductible hors de ces conditions. » Cette parcelle de 2,86 hectares regarde l’appellation Moulin-à-vent située à moins d’un kilomètre. L’infusion tirée de baies entières livre un vin déjà velouté et fin de texture, pourvu de notes florales et délicatement épicées. C’est harmonieux, de jolie longueur, mais surtout fort élégant. (5 +) © ★★★ 1/2
 

Le Chant des Dolia 2019, La Croix Gratiot, Languedoc-Roussillon, France (42,25 $ – 14941899) Les dernières directives de la Santé publique recommandent la consommation de tout au plus six verres de vin par semaine pour un homme. Pourquoi la femme n’aurait-elle pas aussi les mêmes droits ? D’autant plus que les antioxydants diffusés entre autres par le mourvèdre de cette cuvée ne peuvent nullement nuire à une consommation, disons, un peu moins chiche sur le plan des volumes. Les Dolia chantent ici au niveau du registre d’un ténor, voix sombres et bien nourries, d’un velouté quasi animal, avec, ici et là, des percées lumineuses qui en accentuent le relief. Le bœuf en daube ne jouera certes pas les mezzo-sopranos là-dessus ! (5+) © ★★★
 

Chablis 1er Cru « Les Fourneaux » 2019, Corinne et Jean-Pierre Grossot, Bourgogne, France (52,25 $ – 14674410) Mon royaume pour un verre de chablis ! Je n’ai ni hutte, ni cabane, ni domaine, mais beaucoup de motivation pour ne serait-ce qu’accéder à un chablis bio de ce cru. La robe or-vert tendre et lumineuse écarquille les yeux pour mieux révéler les nuances fines de grillé et de beurré, de fleurs sauvages et de foin frais coupé. La suite s’active en douceur, tout en créant lentement une montée subtile en tension et en textures, le tout culminant sur un délicieux crémeux de bouche. Les Grossot savent se faire discrets pour mieux placer le cru au premier rang. C’est tout à leur honneur. (5 +) © ★★★ 1/2 



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