Les vendanges au Domaine du Nival, un véritable travail de moine

« Déjà, à la mi-septembre, avec des maturations précoces et des degrés potentiels en alcool qui avoisinent les 12°, cinq à la vigne, on peut commencer à penser que le millésime 2021 sera sans doute le plus grand millésime que le Québec ait jamais connu à ce jour », confiait au Devoir l’enthousiaste Matthieu Beauchemin, du Domaine du Nival, du haut de la parcelle d’albariño (jusqu’à 45 % d’escarpement) qui contribue à l’excellente cuvée Des pieds et des mains.
Une récolte généreuse sur le plan des volumes comme de la qualité d’ensemble qu’on soupçonnait déjà dans la série « Boire du pays » proposée dans ces pages cet été. Une conjonction parfaite, donc, avec ce Québec vitivinicole qui gagne en maturité sur le plan de l’expertise comme de la qualité des cuvées offertes.
Un état de fait atteint grâce à l’obstination contagieuse de vignerons comme ceux de ce domaine familial, une exploitation d’à peine trois hectares dont ce serait un euphémisme d’affirmer qu’elle a la cote chez les amateurs de vins artisans de chez nous. « Je m’explique mal ce qui fait la popularité de nos vins, nous admettait Matthieu. Sans doute qu’à l’image de nombreux autres vignerons, nous sommes moins interventionnistes en respectant le fruit et en lui accordant un environnement équilibré… Et puis, les palais d’ici ont évolué et privilégient la finesse et l’intégrité pour des vins plus digestes. De plus, on a été assez bon pour raconter notre histoire et nous constatons que les gens veulent se reconnecter avec ceux qui les nourrissent. »
Le Devoir s’invitait aux vendanges cette semaine, sécateur en main et œil à l’affût de la moindre baie de pinot noir entachée de pourriture grise ou de coccinelles rouges (nombreuses cette année). Un véritable travail de moine ! Ici, pas de rutilantes tables de tri optique au laser de 12 mètres de long à 100 000 euros pièce, taxes en sus. Ce n’est pas le genre de la maison.
Constat du cueilleur : des grappes saines, sucrées et bien serrées, avec ici et là, quelques baies altérées aussitôt éliminées. Déjà, ce tri (très) méticuleux à la vigne complété à l’égrappoir donne le ton. Confirmant du coup que la somme des petits détails en amont assure en aval des cuvées nettes, précises, propres et bien vivantes.
Cette rançon de vouloir travailler en bio en se souciant du moindre détail permet à Matthieu et à son équipe de pratiquer une espèce de haute couture vitivinicole. En se concentrant sur le vignoble de trois hectares qu’il n’a pas l’ambition d’agrandir. « Nous sommes six employés sur ce vignoble que nous voulons valoriser au maximum », ajoute-t-il. « Car ici, tout va très vite en raison d’une saison courte, ce qui implique cette main-d’œuvre supplémentaire affairée à porter une attention particulière aux vignes avec, au final, un meilleur produit. »
Un choix délibéré qui porte fruit en cette neuvième saison qui fera incontestablement des heureux parmi les fidèles de la maison.
La famille Beauchemin et la vigne
Les Beauchemin sont des gens de la terre, des autodidactes. Déjà, en 1983, Luc plante sa première vigne à Saint-François-du-Lac, puis achète une terre à Yamachiche, où il enfonce 4000 pieds de vigne. Chardonnay, pinot noir, gamaret et savagnin y trouveront racines dans la foulée, permettant à Matthieu, qui ne se destinait pas à la viticulture (des études administratives en Suisse sont dans le viseur), d’observer et de prendre des notes. Ce dernier passera lui-même à l’action en 2011, encouragé par son père Denis, en achetant six hectares en bordure de la Yamaska, au nord de Saint-Hyacinthe, à la suite des tribulations d’usages auprès d’institutions bancaires qui, bien évidemment, n’y perçoivent pas un Klondike. Manque de vision ? L’histoire récente prouve qu’elles se trompaient.
Quant à Denis, lui-même homme des champs retraité, mais toujours vert et énergique comme une montée de sève au printemps, pas question de se reposer sur ses sarments tant l’aventure confirme que l’on peut réaliser de grandes choses au Québec. Il n’a pas tort : nous entrons sans le moindre doute, en ce début de 21e siècle, dans d’âge d’or de la viticulture d’ici. Nul doute que les Beauchemin, leurs consoeurs et leurs confrères ont encore de beaux millésimes à écrire dans le coeur des gens !
Sans compter sur la production de cidres maison, le Domaine du Nival met (trop) rapidement sur le marché environ 25 000 bouteilles par année dont cet intrigant gamaret — un croisement gamay x reichensteiner, un vinifera précoce et résistant au botrytis et embouteillé sous le nom d’Un de ces quatre —. Ill y a bien évidemment aussi un pinot noir de haute volée (Les entêtés), un peu de chardonnay et de petite arvine, de l’albariño, bien sûr, mais aussi du vidal, cet hybride français qui trouve au domaine — que ce soit dans le Pétillant Naturel maison (Les petits imprévus) ou dans la remarquable cuvée Matière à discussion, avec ses huit mois d’élevage en fût — une ampleur et une distinction enviable.
« On a eu l’idée de partir du champ pour aller à la bouteille au lieu du contraire, sans vouloir trop se faire influencer par ce qui se fait ailleurs », soulignera Matthieu Beauchemin, qui préfère se concentrer sur quelques cépages seulement pour mieux en souligner les possibilités. « Je suis particulièrement heureux avec les vignes de pinot noir qui, avec le temps, offrent un vin qui gagne en profondeur, en subtilité, en complexité. » Comment le contredire quand on s’affaire, sécateur en main, à ne pas lui couper l’herbe sous le pied ?
À grappiller pendant qu’il en reste!
Bourgogne Chardonnay V.V. 2020, Nicolas Potel, Bourgogne, France (23,75 $ – 11890926). Nous demeurons encore et toujours ici avec un bon verre de bourgogne blanc, intègre sur le plan du fruité, fort accessible par sa légèreté, sa fraîcheur et la rondeur de ses saveurs pomme citron. Un blanc sec pas compliqué, pourvu d’un bel équilibre, fort polyvalent à table. (5) ★★ 1/2
Gewurztraminer 2019, Diofili, Siatista, Macédoine, Grèce (25,05 $ – 14729679). Une première pour l’auteur de ces lignes. Pertinent, le « gewurz » sous le soleil hellénique ? Il apparaît bien que oui, d’autant plus qu’il est ici livré avec légèreté et fraîcheur, éclat et beaucoup de sapidité. Un blanc sec, évidemment exotique sur le plan fruité, fort accessible et débordant de charme immédiat (à défaut peut-être d’un milieu de bouche plus crédible, plus soutenu). Fera le bonheur de ceviche de calmar ou de salade aux légumes et mangue fraîche. (5) ★★ 1/2
Prémices… le millésime 2020, L. & R. Dufaitre, Beaujolais-Villages, France (25,90 $ – 13710909). Voilà un vin nature que l’on devra siffler rapidement sans se soucier du lendemain, car — test à l’appui — ce gamay pimpant, intègre et bien net, l’était nettement moins le lendemain, perdant ici manifestement de son éclat, en « sourissant » quelque peu. Mais qu’importe ! Profitez aujourd’hui même de son fruité affriolant et bien vivant avec des copains autour de charcuteries bien choisies. Pourquoi attendre, d’ailleurs ? (5) ★★★ ©
Effusion 2019, Patrick Baudoin, Anjou, Loire, France (35,25 $ – 11909498). Les schistes et les grès locaux non seulement ne chuchotent-ils pas à l’oreille du chenin blanc, ils lui parlent fort, avec une autorité minérale enlevante qui, paradoxalement, fait chanter son fruité sans le fléchir moindrement. Il y trouve son socle, sa caisse de résonance en y installant une tension fruitée d’une éloquente lucidité. Citron Meyer confit, pomme, miel et tilleul installent une bouche énergique, d’une large sève, aussitôt conduite avec vivacité, brillance, style et longueur. Grand blanc sec fort inspiré. (10+) ★★★★ ©
Légende
(5) à boire d’ici cinq ans
(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles