Billet vins: l’Alto Adige, la bonne altitude

Il est toujours fascinant de constater l’impact du relief sur la personnalité des hommes et des vins. Ici, dans le Trentino et l’Alto Adige, dans ce coin de pays où la plaine cède rapidement la place à la montagne, le relief impose sa loi, avec des vignobles dont l’altitude moyenne avoisine les 450 mètres. Au sud, en raison de températures élevées — parmi les plus chaudes de toute l’Italie d’ailleurs —,le Trentino est une région où les vins rouges réussissent particulièrement bien. Cabernet, merlot, marzemino, lagrein, mais surtout teroldego y sont particulièrement digestes avec les charcuteries locales (le fameux speck, entre autres).
Avec le resserrement des montagnes vers le nord, là où les « fiumi » Isarco et Adige convergent vers la ville de Bolzano au fond de profondes vallées, l’altitude pousse au vertige. Ce resserrement du relief donne en effet curieusement aux vins produits de l’Alto Adige — nous sommes en pays où les blancs brillent particulièrement — une précision supplémentaire au niveau des parfums comme des concentrations en bouche. La rigueur germanique omniprésente y serait-elle pour quelque chose ? Les rieslings, traminers, sylvaners, muller-thügaus, kerners, veltliners, moscati gialli et autres variétés françaises y côtoient pinots noirs, cabernets sauvignons, merlots et surtout l’original schiava (alias vernatsch) sur des terroirs très complexes (porphyre granitique) où l’altitude est ici déterminante. Surtout, il se dégage des vins produits un discours très minéral, ici accentué par des vinifications très soignées. Fait à souligner, les coopératives, d’excellent niveau, comptent pour environ 70 % de la production. Quelques vins dégustés disponibles, parfois en quantités limitées.
Blancs
Pinot Bianco 2019, Alois Lageder (19,80 $ – 12057004). Un maître que cet homme. Humble, sensible, attachant, véritable ambassadeur de la région. Ses vins sont à son image, très purs, droits, salivants, exigeants. Un bijou ! (5) ★★★
Pinot Grigio Riserva «Giatl» 2017, Peter Zemmer (44,50 $ – 14462863). Un pinot gris racé, mais surtout une grosse pointure. Puissance maîtrisée pour un blanc onctueux fermenté en fût dont la finale minérale longue et vivace étonne. (5+) © ★★★1/2
Kerner Aristos 2017, Cantina Valle Isarco (31 $ – 14038608). Le cépage kerner résulte (1929) du croisement schiava grossa et riesling, et est pourvu d’un caractère aromatique et d’une acidité confirmée. C’est sec, ample, substantiel, exotique et long en bouche. (5) ★★★1/2
Sauvignon blanc 2017, Tiefenbrunner — Schlosskellerei Turmhof (31,75 $ – 14041241). Un sauvignon blanc à donner le vertige, bien sec, intense, maîtrisé, d’une tension évoquant le fil de fer d’un téléphérique grimpant à 3000 mètres. Profond et long en bouche. Il y a des Pessac-Léognan qui peuvent aller se rhabiller ! (5+) © ★★★★
Riesling 2014, Tenuta Köferhof, Valle Isarco (49 $ – 12958013). Ouf ! Et re-ouf ! L’acuité fruitée est manifeste avec une texture de fil de soie à la fois fragile et indestructible. D’une longueur ! Grand vin ! (10+) © ★★★★1/2
Rouges
Schiava 448 s.l.m. 2018, Cantina Girlan, Vigneti delle Dolomiti (19,90 $ – 14039395). L’impression d’un gamay d’altitude qui mord dans de la craie. C’est léger, souple, frais, friand, sur le fruit. Servir frais. Charcuteries du dimanche midi ? (5) ★★1/2
Schiava 2019, Alois Lageder (24,55 $ – 14560121). Robe très pâle et arômes d’un naturel confondant. Fraise des champs à peine poivrée, mais surtout léger de ton, immense de plaisir décontracté. Régalant. Servi frais. (5) © ★★★
Lagrein 2018, Kornell Florian Brigl Greif (25,60 $ – 14292745). Il y a du tonus et une jolie prise de bouche avec ce rouge de corps moyen, évoquant le fer servadou par sa rusticité et son originalité. Franchise, vivacité et caractère, mais surtout, maîtrise des tanins. (5) © ★★★
Blauburgender 2019, Elena Walch (28,25 $ – 14057067). Le pinot noir sur pointe, dans son chausson de ballet. Délicatement épicé, le voici vivace et précis, derrière ses tanins fins. Délicieux ! (5) © ★★★
À grappiller pendant qu’il en reste!
Corbières 2019, Château St-Jean de la Gineste, France (18,60 $ – 875252). Une pierre qui chauffe et un grillon qui chante sous un soleil de plomb arrachant aux herbes aromatiques leurs dernières huiles essentielles. Voilà pour le contexte. Pour le reste, un rouge de corps, extraordinaire de fraîcheur, très pur sur le plan saveurs, avec son fruité profond, simple mais épicé, le tout habilement cadré. Voilà la vérité. (5+) © ★★★
Capitel San Rocco Ripasso 2017, Tedeschi, Vénétie, Italie (21 $ – 972216). Il y a de ces moments où la musique de chambre qui ronronne doucement au salon invite à se caler tout autant au creux du canapé qu’entre les épaisseurs fruitées de tanins frais et bien étoffés. C’est là qu’un verre de ripasso est tout indiqué, accompagné de quelques pépites de parmigiano reggiano vieilli 24 mois et d’un livre relatant les mille et une nuits de Giacomo Casanova. La facture de cet assemblage est moderne et bien découpée, les cépages trouvant à s’exprimer tour à tour pour mieux fusionner ensuite au palais. Un rouge de textures, d’une sève fraîche et soutenue, puissante, harmonieuse, de belle longueur. (5+) © ★★★
Cedro 2017, Fattoria Lavacchio, Chianti Rufina, Toscane, Italie (21,75 $ – 14460411). Si j’étais agent de vin pour la SAQ, voilà le type de vin que je souhaiterais avoir dans mon portfolio. Comme on dit : « Des comme ça, n’importe quand ! » Je vous en informe, car voilà un rouge bio particulièrement inspiré, un rouge dont on sent les tripes et le feu intérieur, avec ce fruité frais et parfaitement circonscrit typique de cette appellation sise au nord, en altitude. Cette maison est à rechercher pour sa capacité à traduire ce fruité avec beaucoup d’éloquence, de sincérité. À petit prix. (5+) © ★★★
Château de Caraguilhes « Les Gourgoules » 2017, Corbières, Languedoc-Roussillon, France (22,10 $ – 14450045). Si le blanc 2019 (22,10 $ – 14447997 – (5) © HHH) mérite amplement le détour, ce rouge élaboré en bio démontre qu’il est tout à fait possible à cette appellation languedocienne d’atteindre des sommets d’élégance. Le fruité y est juteux, de grande clarté et pourvu d’une sève riche et puissante. Les tanins sont de plus très civilisés. Un régal, en somme. (5) © ★★★
Marabino « Èureka » 2019, Terre siciliane, Sicile, Italie (24,95 $ – 14446521). Ce blanc « nature » sec et léger dissimule fort adroitement l’esprit du chardonnay qui l’anime. Le cépage prend ici une autre dimension, loin de son profil exotique, beurré ou boisé. Il offre substance et texture, tout en rondeur, sans être trop acide. Un régal sur les arancinis farcis aux épinards. (5) © ★★1 / 2
Cairanne « Excellence » 2016, Domaine St-Andéol, Rhône, France (24,95 $ – 14368586). Le cru Cairanne vous fait faire une visite de terroirs riches en parfums et en saveurs. Vins de caractère pour chaude soirée d’automne et d’hiver. Ici, syrah et grenache construisent une bouche dense et structurante derrière une robe juvénile encore très profonde, de cette mâche qui fait la fête sur une daube, un ragoût ou sur toutes autres frivolités carnées. Ce 2016 commence à peine à relâcher son empreinte et promet des parfums forts envoûtants dans trois ou cinq ans, si vous pouvez résister. (5+) © ★★★
Chorey-les-Beaune 2017, François Gay et fils, Bourgogne, France (41,75 $ – 917138). Boire du Chorey-les-Beaune, c’est comme avaler une rasade de printemps en fleurs. C’est primesautier, frais, guilleret et tout ce qu’il y a de gai. La bonne humeur à portée de nez pour une bouche elle-même emportée. Bref, un pinot noir qui, sous des airs pas sérieux du tout, affiche la beauté dans sa simplicité même. Un vin « de mouchoir », délicatement parfumé à la cerise, fébrile et haletant sous ses tanins fins, frais, légers mais savoureux, de cette constitution dont sont fait (et que l’on veut ainsi) les bourgognes touchés par la grâce. Une invitation au libertinage des sens ! (5+) © ★★★1 / 2
Légende
(5) à boire d’ici cinq ans(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles