Chez Renard, une buvette au rythme des Îles

À l’entrée de l’archipel, à un jet de pierre du quai, une maisonnette verte affiche de nouvelles couleurs : Chez Renard, un café-buvette imaginé par deux néo-Madelinots qui y marient leur amour pour la cuisine du marché et celui des îles de la Madeleine.
Ève Beaudoin Galaise et Philippe Raymond sont tout sourire lorsque Le Devoir vient à leur rencontre, un lundi matin. Jour de congé, ils prennent aussi une pause de la visite qui afflue depuis le début de l’été. Et pour cause : ils ont été nombreux, de près ou de loin, à suivre l’évolution du projet de restaurant et à y mettre aussi la main à la pâte. En six mois, les nouveaux propriétaires ont transformé une ancienne boutique de souvenirs de Cap-aux-Meules en un antre confortable et un restaurant fonctionnel. Et si le couple est si souriant, c’est parce que la réponse a été fort agréable dès l’ouverture. Pour leur plus grand bonheur, des résidents de l’archipel s’y sont attablés, et plusieurs fois. « Il y a des soirs où il y avait juste des Madelinots. Ils nous disaient : ça va marcher ! » raconte Ève, ravie.
Et c’est loin d’être un menu détail, surtout en pleine saison touristique, et surtout en sachant que c’est pour eux qu’Ève et Philippe ouvrent leur restaurant. « On mise plus sur les Madelinots que sur les touristes, expliquent-ils, tour à tour. Notre formule [est moins connue] des Madelinots, mais on veut les mettre à l’aise. Que le menu soit sur une ardoise et non sur du papier, le fait qu’il n’y ait pas de table d’hôte, tout ça [les] déstabilise. Mais après un verre et un plat, ils tripent ! » Chez Renard, explique Ève, c’est surtout une buvette qui vit au rythme des Îles, discrète et audacieuse. Une place où s’accoster en toute saison.
Les produits du moment
Pour le chef, Philippe Raymond, la cuisine inspirée par les produits du moment est celle qui a le plus de sens aux îles de la Madeleine. « L’attente, c’est [une réalité] ici. Il manque toujours quelque chose. Avec un menu à l’ardoise, si on manque [d’un ingrédient], on change. Comme là, ça fait plusieurs fois qu’il n’y a plus d’œufs. Le poulailler des Îles ne fournit pas à la demande avec tous les gens qui viennent. Nous, on achète des œufs fêlés. Il faut s’adapter. »
Sa cuisine se décline en plats à partager et sert de vitrine aux saveurs locales, une formule qu’il a faite sienne après son passage à la Buvette Scott, à Québec. « La cuisine de Jean-Philippe Lessard, c’est le type de cuisine que j’ai le plus aimé travailler. Il y a toute l’ambiance rattachée à ça. C’est ce que j’avais le goût de faire, relate Philippe. J’apprends à définir mon style, mais j’ai compris qu’on peut se lâcher lousse en cuisine et essayer des choses inusitées. » Il pointe du doigt les dizaines d’ouvrages de cuisine qui décorent à leur façon la salle à manger. « Je me mets des contraintes, je reçois des appels des producteurs, et pour des idées, je feuillette les livres ! »
En salle, un trio mené par Ève s’affaire à servir la clientèle. L’espace d’une vingtaine de places est épuré. Les boiseries, le lambris vert, les œuvres de la photographe Alphiya Joncas et la lumière naturelle font l’ambiance à eux seuls. Ici, rien de trop dicté. Ève Beaudoin Galaise préfère que son équipe soit affable et sincère. « Faire des petites attentions cachées, des choses que les gens ne savent pas si c’était voulu ou non, mais qui transforment l’expérience », voilà ce qu’elle privilégie.
Quatre fois par semaine, la buvette est aussi café, en matinée. Pour agrémenter les nectars, Ève façonne des bagels maison qui sont ensuite tartinés d’un fromage à la crème au fromage Pied-de-vent. Il faut dire que c’est en travaillant à la boulangerie l’Arbre à pains que le couple « s’est laissé prendre dans l’engrenage » d’ouvrir un restaurant dans la maison vacante juste à côté. L’achalandage du café est si important que les propriétaires ne peuvent imaginer leur modèle d’affaires autrement. Qui plus est, c’est une jolie façon de s’ancrer davantage dans la communauté. « On a créé des liens avec des néo-Madelinots, et là on commence à [connaître] des Madelinots. Certains nous invitent à faire de la cueillette chez eux. On aurait aimé voyager et faire des stages ailleurs, mais c’est ici qu’on a finalement décidé de rester. On aime [l’équilibre de vie] qu’on a réussi à se donner même si on travaille beaucoup. On a du temps pour nous, pour vivre.
Poésie de saison
Depuis l’ouverture de cette nouvelle buvette aux îles de la Madeleine, les palabres étaient plus que grandiloquents. Est-ce que cet enthousiasme était teinté par l’émotion des paysages, ou est-ce qu’on y mange vraiment bien ? Mille kilomètres de voyagement plus tard, nous nous y sommes attablés, avec de grandes attentes, avouons-le.
D’entrée de jeu, nous commandons deux cocktails pour trinquer aux vacances. Le spritz et le punch 75 avec du gin Maria par la maison Menaud sont très réussis. C’est assez rare que l’on vante les apéritifs, mais ici, ça vaut vraiment quelques mots.
Le menu du moment se divise en trois parties : des plats d’apéro, des entrées à partager et des douceurs pour la finale. Juste à y lire les ingrédients, on se doute que les choix seront difficiles à faire. Amalgames inusités, présence d’ingrédients typiques des Maritimes ; l’ardoise se joue de nous.
Les bambines de quatre ans qui nous accompagnent se délectent du poulet frit — la vedette de l’heure, nous dit-on —, qui figure dans la liste des apéros. Elles picossent dans la charmante salade de concombre et de fenouil. La crème fraîche, le pesto et les fanes de fenouil ajoutent l’éclat nécessaire pour que la fourchette y retourne sans cesse. C’est frais, c’est bon. Fort heureux que les oisillons en aient laissé ! L’air d’été se trouve également dans l’assiette de homard, de maïs et de betterave, où la focaccia d’Ève devient une éponge à saveurs. C’est bien exécuté, c’est fin et gourmand à la fois. Le chef se montre généreux tant dans sa créativité que dans les portions.
Là où le charme de la cuisine de Philippe Raymond a indéniablement opéré, c’est avec le maquereau en gravlax, avec un duo de chou-rave en purée et en choucroute. Saisissant ! Même émotion pour le plat de boeuf et de bourgots ou celui de pétoncles et de porc avec fraises et feuilles de tétragone. On voit dans le style surf and turf la signature d’un chef qui s’amuse franchement.
Une note sur le service : Chez Renard, on se sent comme chez un ami sans qu’on en perde sur le professionnalisme. C’est sympathique, attentionné et surtout authentique.
On sort de la buvette heureux que les gens du coin aient accès à ce genre de cuisine inspirée et joyeuse.
Légende
★ Je regrette de devoir vous en parler★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor
$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix