Le Clan, un concentré des passions de Stéphane Modat

Le chef Stéphane Modat revient d’une virée dans le Nord où, comme une éponge, il a écouté, parlé et partagé avec les communautés locales à qui il rend visite depuis plusieurs années avec son complice, le photographe Frédéric Laroche.
Photo: Frédéric Laroche Le chef Stéphane Modat revient d’une virée dans le Nord où, comme une éponge, il a écouté, parlé et partagé avec les communautés locales à qui il rend visite depuis plusieurs années avec son complice, le photographe Frédéric Laroche.

Son récent départ du Château Frontenac annoncé un vendredi de février avait pris bien des gens par surprise. Son nouveau projet, lui, dont il s’amuse à essaimer les indices, n’étonne pas. En phase avec ce qu’il a toujours prôné, le chef Stéphane Modat s’apprête à ouvrir Le Clan dans le Vieux-Québec, un antre où il partagera les mille et une choses qui le passionnent, comme le Nord, d’où il revient à peine.

Il le dit d’emblée : le restaurant Le Clan — son mantra qui rallie tous les passionnés de bouche — sera à son image. « Ce sera comme faire une partouze dans le château de Versailles », se risque-t-il à dire, non sans rire, pour expliquer son idée. « [Un endroit] très beau et très bizarre où tu peux rire, avoir du fun, arriver en shorts. En même temps, tu auras tout le sérieux de [ma] démarche. Et si tu ne veux pas la connaître, la démarche, tu vas quand même manger des produits du terroir ! » Pour les initiés, tous les trésors et autres curiosités qui peuplaient Le Champlain trouveront leur place dans ce vaste espace de 126 sièges.

C’est en aménageant actuellement son nouveau lieu avec son associé, le restaurateur Yanick Parent, que Stéphane Modat prend vraiment le pouls de ce qui se dessine pour lui.

« J’ai réalisé avec le temps que moi, je suis cuisinier. Ce que je veux faire, c’est de l’hospitalité. Et j’ai besoin d’encourager encore plus nos fournisseurs. La restauration va mal, l’hôtellerie va mal… Si eux vont mal, le monsieur qui produit le cochon va mal, celui qui produit du bœuf va mal. Ceux qui font pousser des carottes vont mal aussi », lance-t-il avec la verve qu’on lui connaît.

Le Clan, ce sera beaucoup ça : mettre en scène « ceux qui se lèvent à quatre heures du matin pour nous nourrir, exprime-t-il. Je ne suis pas un génie, je n’opère pas les gens à cœur ouvert. Moi, je fais à manger dans la vie. Je veux la passation, je veux donner plus de place aux gens, je veux travailler en micro. »

Pour réunir toutes ses aspirations, il ne part pas très loin : à un jet de pierre du Château Frontenac, dans l’ancien Café de la Paix. Ce lieu, construit pour un boucher en 1680, est « chargé d’histoire », explique le chef cuisinier. « J’aime que tout ait une histoire dans ma vie. »

Vivre le Nord

 

Et les histoires, il les accumule avec un plaisir évident. Il revient justement d’une virée dans le Nord où, comme une éponge, il a écouté, parlé et partagé avec les communautés locales qu’il visite depuis plusieurs années avec son complice, le photographe Frédéric Laroche.

« Le Nord me fascine. Chaque fois que j’y retourne, c’est une claque sur la gueule. On peut vivre de façon beaucoup plus simple que ce qu’on fait ici [dans le Sud]. Dans mon métier, ça m’allume tellement de lumière. Et ils prennent le temps. C’est dur quand tu arrives, parce qu’il faut que tu te mettes [à ce rythme] qu’on n’a plus. C’est une thérapie pour moi. »

Si le Nord est dans son agenda annuel, c’est grâce en partie à Stéphane Paquet, un professeur qui a fondé le Nunavik Hockey School. Son organisme vient en aide aux jeunes à travers le hockey pour freiner la criminalité et les suicides, entre autres choses.

« Quand on s’est rencontrés, il y a quatre ou cinq ans, on s’est dit que ce serait cool de faire des ateliers de cuisine. Alors, chaque fois que je vais dans le Nord, on organise une sortie avec des gens locaux et on récolte quelque chose pour que je puisse faire de la nourriture pour la fin du camp de hockey, pour donner de la nourriture aux jeunes. On arrive à aider, à faire un don de nous. J’aime beaucoup ça », souligne-t-il. Fumoir en roches pour des prises d’omble de l’Arctique, méchoui de caribou, les expériences s’accumulent et les histoires à rapporter aussi.

« Cette année, on est allés récolter des moules sous la banquise à marée basse. Là-bas, si tu veux des moules, tu vas les récolter, parce qu’il n’y en a pas à l’épicerie. Tu t’en vas en Skidoo, tu fais un trou, tu descends sous la banquise, tu récoltes des moules et tranquillement la mer remonte. Un moment donné, il faut que tu sortes du trou ! Si tu as deux livres, tu as deux livres. Ce sont les meilleures moules que j’ai mangées de toute ma vie. Mais est-ce qu’elles étaient vraiment les meilleures ? se demande-t-il. C’est ça qui est malade. Est-ce qu’elles étaient meilleures parce qu’elles étaient vraiment meilleures ou parce qu’il y a toute [cette aventure] derrière elles ? »

Voilà bien l’essence de ce qui se trame dans ce local du Vieux-Québec qui prend forme peu à peu. Et Stéphane Modat jure qu’il aura un tas d’histoires à raconter sur les producteurs d’ingrédients locaux qui fourmilleront dans les assiettes.

« Pour moi, les encourager, c’est ça, l’autonomie alimentaire. Si je vais cueillir des têtes de violon tous les ans et que je fais mes réserves, le cueilleur [professionnel], s’il voit qu’il n’y a plus de marché, il va se tourner vers autre chose. Et le jour où je n’aurai pas le temps d’aller en cueillir, bien, il n’y aura plus de cueilleurs pour nous en fournir », laisse-t-il tomber, avant de relancer l’autrice de ces lignes en disant : « regarde tes textos, je viens de t’envoyer des photos des moules sous la banquise, tu vas capoter ! »

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