Ibéricos: combattre le mois de novembre à coups de tapas

Ici, vous voudrez apporter vos castagnettes ou, si c’est davantage votre truc, cette belle robe de danseuse de flamenco rapportée de Cordoue. Vous serez venu chez Ibéricos, car vous vous ennuyez déjà des mélopées déchirantes de feu Enrique Morente ou de sa fille Estrella, de l’air presque africain de Tarifa ou de cette aspiration vers le ciel que vous avez ressentie en arrivant au monastère de Sant Pere de Rodes. Vous vous demandez comment retrouver cette paix étourdissante qui vous a envahi dès que vous vous êtes assis sur un banc de la basilique Santa Maria del Mar.
Vous aurez bien fait de venir souper Chez Ibéricos, les tapas y sont excellentes, le chef talentueux et la cuisine généreuse. Aucune autre prétention que celle de vous faire passer un moment agréable et de vous voir quitter les lieux en dodelinant de satisfaction.

De passage en reconnaissance l’été dernier, j’avais un peu sourcillé en voyant un autocollant sur la porte qui disait dans l’autre langue de notre beau grand pays d’un océan à l’autre : « Good for Large Groups ». Bon, ici les larges groups mangent à l’étage ; au rez-de-chaussée, on a de petites tablées ou des clients installés au long comptoir qui discutent en picorant dans leurs assiettes.
Ibéricos s’annonce comme « Taverne à tapas espagnoles » ; « espagnoles », c’est sans doute pour vous rassurer au cas où vous auriez vu sur le site Internet que Haissam Souki Tamayo, le chef, et Adriana Laporta, sa cheffe, sont tous deux vénézuéliens. Voudriez-vous en effet manger des tapas vénézuéliennes, par ailleurs excellentes, mais moins émoustillantes ?
En tout petit sous le titre « Tapas », il est écrit : « Ménu (sic) dégustation : l’expérience gastronomique de l’Espagne 55 $/ personne. Sélection de tapas du chef, disponible seulement pour l’ensemble de la table ». Le sourire que ce « Ménu » provoquera est de bon augure et les tapas arrivent à votre table à un bon rythme.
De belles choses
De belles choses comme cette Tortilla Española bien chargée en pomme de terre et en oignon ou cette planchette de charcuteries en entrées — jambon ibérique, longe, saucisson et chorizo — sur laquelle les quatre choix se disputent les faveurs de la table. Les filles ont presque tout dévoré ; Pierre s’est versé un autre verre de rouge ; j’ai soupiré en grappillant les dernières tranches de chorizo.
Autres divertissantes tapas, les Patatas Bravas et leur traditionnelle sauce romesco, riche de poivrons doux, à leur summum en cette saison, et d’amande ou ce mélange de champignons du Québec sur une émulsion de noix de pin espagnoles et une vinaigrette de xérès.
Comme il est de rigueur en Catalogne, les premières tapas (surtout les charcuteries) sont accompagnées de Pa amb tomàquet.
Ici du très bon pain, de la chair de très bonnes tomates, un petit filet d’huile d’olive très douce et une pointe d’ail. Parfait.

Le chef cuisine très bien et se lance parfois dans quelques intrigantes élucubrations culinaires, comme ces sphères d’olives liquides en hommage à El Bulli. Intrigantes et savoureuses.
D’autres moments ont été moins applaudis, aubergines frites ou tapa de pieuvre rôtie.
Cette dernière, quand même facturée 18 beaux dollars, avait beaucoup souffert pendant son voyage de Galice jusqu’à chez nous et était, disons, un peu trop coriace pour inspirer l’amour que l’on éprouve habituellement pour la chose.
Même indifférence pour cet ersatz de paella, un peu chiche même si elle fait partie d’une généreuse fiesta de tapas. Au moins, comme le dit mon ami Jordi, pusher littéraire de chez Gallimard et lettré catalan, « Il n’y a pas de chorizo. Montréal est la seule ville au monde où on trouve du chorizo dans la paella ».
Au sujet de cette dernière paella qui apparaît sur le « Ménu » sous la section « Platillos », comme nous étions sortis de table enchantés et que je déteste dire du mal des gens, nous sommes tous quatre revenus chez Ibéricos goûter la « Paella (pour deux) aux fruits de mer et poulet ».
Mieux, moins parcimonieuse, mais… Sans doute quelques crevettes de plus et quelques morceaux de poulet supplémentaires seraient les bienvenus. Et une ou deux poignées de riz de plus, s’il vous plaît.
Desserts impeccables
Je reviendrai l’an prochain essayer à nouveau. J’adore la paella et j’ai souvenir de plantureuses paellas savourées dans de nombreux bistrots au fin fond de la Catalogne infiniment meilleures que celle-ci.
Deux desserts impeccables : Churros et Ganache de chocolat. Avec les premiers, saupoudrés de sucre à l’orange, un de ces chocolats comme seuls les Espagnols savent en préparer. Quant à la ganache, elle est soulignée d’un gel d’huile d’olive et de sel, autre clin d’œil à El Bulli avec cette interprétation du classique goûter que les mamies espagnoles préparent à leurs petits-enfants.
Dans les deux cas, le chef et la patronne, vénézuéliens à 100 %, ont le bon goût d’utiliser un superbe chocolat de chez Cacao Barry portant le joli nom de… Venezuela 72 %.
¡ Buen provecho ! comme on dit à Madrid, ou ¡ Bon profit ! comme on dit à Barcelone. À table, tout le monde s’aime.
Ouvert en soirée, du mardi au samedi et à midi samedi et dimanche. Avant taxes et pourboire, ce repas aurait pu ne coûter que 238 $ pour quatre personnes. Ils ont bu, un peu trop selon moi, et ça a bien sûr fini par leur coûter pas mal plus.
En collaboration avec José Lopez, sommelier indépendant, la cheffe du chef, Adriana Laporta, monte une carte des vins composée à 90 % de vins en importation privée et contenant quelques belles bouteilles ibériques, cavas et rouges pleins de soleil. Cavas autour de 50 $ et verres de très bons vins espagnols pour une douzaine de dollars.
Légendes
★ Je regrette de devoir vous en parler★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor
$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix