Le Kraken Cru s’installe en ville

Les légendes scandinaves racontent que le Kraken, sorte de pieuvre gigantesque et monstrueuse, était capable de faire chavirer même les plus grands vaisseaux. Il agrippait les mâts pour attirer l’embarcation vers les flots glacés et y noyer ses passagers terrorisés.
C’est donc flanquée d’un équipage de matelots aguerris et peu farouches que j’ai abordé le minuscule resto arborant le nom de cette terrifiante créature. Allions-nous payer le prix de cette audace ?
Le vent en poulpe
S’il ne paie pas de mine vu de l’extérieur, les affaires vont bien pour ce « bar à huîtres et à cru » de la rue Saint-Vallier. En novembre dernier, le Kraken Cru s’est classé 7e au palmarès des dix meilleurs nouveaux restaurants canadiens du magazine d’Air Canada, enRoute.
Devant l’afflux de gourmands, le trio qui préside aux destinées du petit établissement a fini par capituler : en sus du « pont » d’une vingtaine de places, la « cale » a été aménagée afin d’accueillir des groupes. Mais on est resté ferme sur un point : pas de réservations.
Nous sommes donc chanceux de dénicher quelques places au vaste bar en U. Pour célébrer cette première victoire, un petit alcool est de mise. La chaleur de l’eau-de-vie de marc se répand dans nos gorges. Après une étude attentive du menu crayonné sur l’ardoise, il est décidé de débuter avec des huîtres fraîches.
Ici, le bivalve est roi. La carte compte toujours plusieurs variétés d’huîtres que l’on sert sur plateau de glace avec quartiers de citron et vinaigrette à l’échalote française. Pour ostréiphiles avertis, donc.
Ce soir-là, l’Île du Prince-Édouard est à l’honneur avec des Colville Bay, des Conway Pearls et des Blackberry, que l’on arrosera d’un verre de Prosecco. L’effervescence minérale du vin se marie agréablement à nos coquillages.
Pêche miraculeuse
La formule du Kraken Cru est simple : on commande pratiquement à mesure, en fonction de sa faim. Aux huîtres s’ajoutent sept à huit plats (en format entrée) où les poissons et les fruits de mer sont habilement mis en valeur. Mon invité et moi choisissons chacun deux mets différents, avec promesse d’échanger quelques bouchées.
Tous les vins, pour la plupart en importation privée, ont été sélectionnés pour accompagner ces trésors marins. On nous propose spontanément d’y goûter avant de fixer notre choix. Provenant du berceau de la viticulture, l’Altitudes Ixsir Blanc 2015, un libanais tonique, frais et pimpant aux belles notes florales et d’agrume, me paraît fort approprié.
C’est effectivement un charme avec mon gravlax de saumon. Je savoure les trois « bonbons » fondants, d’un bel orangé vif que la flamme n’a fait qu’effleurer, déposés sur des minibouquets de chou-fleur et des noisettes grillées. L’appât est parfait.
Les choses se présentent bien du côté de Germain. Le plat de pieuvre grillée et jambon de Bayonne, avec ses petits pois, ses champignons et sa purée de tomates onctueuse, fait bien honneur à tous ces octopodes sacrifiés à la gourmandise.
L’île aux trésors
J’ai souvent constaté que l’adresse d’un chef s’exprime dans la simplicité. Mon tartare de pétoncles des îles, délicatement parfumé d’aneth et de citron confit et trônant au milieu d’un fin coulis d’herbes, en est un éloquent exemple. On a ici un mets fin où le produit est respecté, magnifié sans être dénaturé.
Mais le clou du repas est sans contredit la spectaculaire tête de saumon. Prestement rôtie à l’huile de sésame et coiffée d’une verdurette, elle semble défier de son oeil torve la fourchette de mon invité.
Si l’ensemble est surprenant, on découvre bientôt une véritable fête de saveurs et de textures, comme si toutes les coupes possibles de saumon s’y retrouvaient. Mais, évidemment, il faut avoir le pied marin pour affronter une telle assiette.
Et qu’en est-il des autres mets à la carte ? Le menu du Kraken Cru, nous explique-t-on, change toutes les semaines. Au gré des arrivages et de l’inspiration du chef surgissent des propositions telles que la mousse de foie de lotte ou celle d’oursin parfumée à l’estragon, la bedaine de thon, la pomme de terre au four garnie de palourdes, bacon et beurre de maquereau, la guédille de luxe avec sa bisque de crevettes en mayonnaise, le gravlax de cardeau, les huîtres chaudes au chèvre et herbes, le chevreau aux bourgots…
Nom de Poséidon, il faudra revenir naviguer en ces eaux : bien des trésors s’y cachent encore !
Les plus. Service attentif et chaleureux. Cuisine fraîche, goûteuse, inventive. Le paradis des amateurs d’huîtres et de fruits de mer.
Les moins. Le confort des tabourets laisse à désirer. Fermé du lundi au mercredi, au grand désespoir des amateurs.
Pas de réservation : à défaut d’être chanceux, armez-vous de patience.
Coût de notre repas pour deux, sans alcool, avant taxes : 120 $; incluant alcool, taxes et service : 226$.
Légende
★ Je regrette de devoir vous en parler★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor
$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix