Le bon resto 3.0

De nos jours, on ne sait plus trop de quoi il s’agit exactement. Est-ce un bar à huîtres ? Un resto-bar ? Un bar tout court ? Un restaurant ?
Majestique est un peu tout cela, et plus encore. Surtout dans les assiettes du chef Dominic Lalonde. Autour d’elles, ça vibre, ça bouge, ça respire la bonne humeur, l’appétit vorace et la gourmandise. La sono un peu généreuse ne constitue pas ici un véritable problème si l’on accepte que la joie ambiante fait partie de l’expérience et que, pour y goûter pleinement, il faut monter le ton afin de se faire entendre de l’autre côté de la table.
Tout le reste du passage à cette adresse est si plaisant que vous m’en voudriez de trop insister sur les décibels ; vous m’en voudrez tout autant de ne pas le mentionner si vous avez l’ouïe le moindrement sensible.
Majestique célébrait ses deux ans dimanche dernier. Un beau gros poupon joufflu, souriant, gourmand et légèrement hyperactif. À ce propos, il faut rappeler que Charles-Antoine Crête, Monsieur 100 000 volts nouvelle génération, est l’un des géniteurs de Majestique. On aurait donc été étonné de trouver un lounge alangui et, sur les tables, des cotonnades soporifiques et des plats ennuyeux.
Côté huîtres, puisque le petit comptoir des écaillers se trouve à l’entrée, la maison a toujours veillé à proposer des mollusques qui invitent au voyage vers des horizons océaniques. Ce soir-là, deux douzaines écaillées à la perfection par l’artiste en résidence, François Séguin, je crois, puisqu’il faut rendre à François ce qui est à François.
Le jeune homme au service aurait sans doute gagné à préciser que la douzaine de gauche était beaucoup moins iodée que celle de droite, mais nos 24 disparurent le temps de le dire. Vu la quantité de plateaux qui passent à droite et à gauche, les amateurs sont nombreux et le coût, 2,50 $ l’unité, ne semble pas constituer un frein.
Arrivent ensuite une série de petits plats qui illustrent le talent des cuisiniers, et notamment l’art de prendre des ingrédients relativement insignifiants pour les assembler en des assiettes ô combien remarquables.
Quand les produits sont bien choisis, leur relative insignifiance individuelle importe peu car le travail du chef et des cuisiniers consiste justement à en faire, comme ici, des plats marquants. Le soir de notre visite, six exemples parfaits, quatre plats salés et deux sucrés…
Dans une assiette à escargots, une douzaine de bourgots nappés d’un beurre d’herbes balancé à la perfection, le tout accompagné de pain frit.
De belles bouchées de truite confite marinée, canneberges, tomates-cerises, mayonnaise épicée, un peu de pain à l’huile et quelques grains de maïs éclaté. Là encore, une assiette irréprochable.
Une superbe tartelette de légumes, chou-fleur, brocoli, shiitaké, quelques amandes et une glace de légumes qui m’a échappé, mais je rencontre de temps à autre une assiette ou un élément d’assiette que je ne comprends pas et qui me ramène à l’humilité.
Une pieuvre très tendre, ou du moins un de ses petits bras, à peine grillée, quelques tomates-cerises, deux ou trois copeaux de pancetta croustillante et un assez décoiffant caramel de saké.
La maison promeut une excentricité appelée Hot-dog 12 pouces. Mon sens de l’humour m’empêche d’apprécier tout chien-chaud vendu 22 $. Je dois avoir tort car la chose se trouve sur de nombreuses tables autour de la nôtre, et clientes et clients rient beaucoup.
Majestique présente ses frites dans un grand cornet de papier brun. Je vous mets au défi, si vous aimez les bonnes frites, de résister au plaisir coupable de grignoter jusqu’à la toute dernière.
Le chef Lalonde ne possède peut-être pas le registre très étendu d’un grand pâtissier, mais ses deux petits desserts dégustés à la fin de notre repas passeront à la postérité et pourraient constituer une excuse pour revenir faire un tour chez Majestique : une mousse à l’érable, arachides et pacanes, suivie d’un crémeux au chocolat, pop-corn au caramel et canneberges.
Délicieux, équilibrés et si intelligemment assemblés que même les clients qui n’ont plus faim se laissent entraîner. Comme je vous sais aussi économes que moi, je crois bon de préciser que les deux se détaillent respectivement 3 $ et 5 $. Le bonheur, parfois, coûte peu.
Majestique

4105, boulevard Saint-Laurent
Montréal
514 439-1850
Ouvert sept soirs sur sept. Brunch dominical très couru. La carte propose une quinzaine de plats entre 3 $ et 22 $. À 10 $ de moyenne, c’est sans doute le meilleur rapport qualité-prix en ville. De la carte des vins, l’expert maison, Jean Aubry, dit ceci : « Voilà une carte qui respire bien, portée par un souffle de fraîcheur et d’originalité. J’ai soif ! » Ajoutez donc quelques dollars.