La très belle table de Ritalin

Ritalin est un ourson en peluche. Drôle d’introduction, me direz-vous, pour une critique de restaurant. C’est que ce restaurant-ci, Montréal Plaza, est un drôle de restaurant. Et l’équipe en coulisses est aussi désopilante, tout en proposant une cuisine très juste et une prestation d’ensemble très au-dessus de la moyenne. La preuve, si besoin était, que l’on peut être désopilant et sérieux à la fois.
Ritalin, donc, puisque c’est son nom, vivait sa vie d’ourson en peluche peinard dans un coin du grenier chez les parents de Charles-Antoine Crête, chef de son état. Il avait accompagné le chef dans son enfance et aspirait à des jours plus tranquilles, le quotidien du petit Charles-Antoine étant tout sauf tranquille, même pour un ourson en peluche appelé Ritalin.
Un jour, les parents Crête décidèrent de faire le ménage et, tombant sur Ritalin, eurent la brillante idée de lui parler. On est comme ça, dans la famille Crête, on communique tous azimuts. Maman Crête dit qu’au milieu de la saison des récoltes, elle aimerait ça faire des purées de fruits, des conserves de légumes et autres marinades. Monsieur Crête père dit qu’il trouverait intelligent de faire profiter plus de monde du tic-tac de ses 3294 horloges et que certains meubles gagneraient à être mis en évidence ailleurs que dans la grange.
Ritalin répondit qu’il voyait le tout d’un très bon oeil et qu’il allait parler au fiston dès la nuit suivante. Les oursons en peluche font souvent ça, parler au monde la nuit. Vous essaierez de vous souvenir de vos rêves demain matin, vous verrez.
« Charles, ici Ritalin. Ça fait des années que tu batifoles à droite, à gauche ; tu as appris assez de trucs chez Toqué !. Tu as lancé Majestique, qui roule très bien. Le temps est venu d’ouvrir ta propre boutique. Lâche la fête avec tes amis et mets-toi à l’ouvrage. »
Une explosion de bonheurs
Au matin, Charles-Antoine avait encore plus mal à la tête que d’habitude. Après son premier espresso, il appela Cheryl, sa complice de toujours, Sophie et Amine, qui avaient travaillé dans le feu des cuisines du Continental pour l’une et de Toqué ! pour l’autre, et tous les trois, plus divers autres allumés du poêlon, de la scie à ruban et de la calculatrice, se mirent au travail. Quelques mois et plusieurs nuits blanches plus tard naissait Montréal Plaza. Je crois que vous allez beaucoup aimer.
Depuis l’ouverture de ce restaurant, la plaza Saint-Hubert entre Bellechasse et Beaubien s’est animée de foules différentes. Elles arrivent l’air affamé, des jeunes, des moins jeunes, des dames superbement vêtues, des messieurs en habit chic, d’autres plus relaxes. En arrivant, tout le monde sourit comme lorsqu’on va à un rendez-vous galant et qu’on pressent de grandes choses.
Ici, la première de ces grandes choses s’appelle « Soupe de tomates ». Pour la poésie, on pourrait faire mieux, mais ça fait partie du charme de la maison, cette façon de dire les choses simplement, pas de chichis, pas de flaflas.
Soupe de tomates, donc. Une explosion de bonheurs, petits cubes de thon, bleuets, framboises, tomates-cerises jaunes, copeaux de chou-fleur, quelques grains de maïs, deux pincées de haricots verts et jaunes ciselés et un soupçon de graines de carvi, le tout dans une eau de tomates fumée au hareng à décoiffer un candidat républicain.
C’était tellement bon que j’ai failli arrêter là. Élise, plus intense et moins sensible que moi à la beauté d’une seule assiette, insista pour rester. Nous restâmes.
L’émotion se poursuit avec une cassolette de bourgots, très tendres, très relevés et recouverts d’une sorte de mirepoix. Elle s’intensifie avec ces « Patates à rien » qui, en fait, sont à beaucoup, grosses portions de pommes de terre savoureuses enluminées de petits riens, d’où le nom sans doute.
Une pièce de flanc de porc enrubanné de longues lanières de daïkon, dans une assiette parsemée de petits tronçons d’oignons marinés et de camerises du Lac, le tout reposant sur une purée de pommes très fine. Quelques saucisses cocktail glacées venues de chez Gaspor et un hallucinant sashimi de boeuf accompagné d’une poêlée de chanterelles et, en fines lamelles, de petits concombres et de radis.
La carte des desserts
La carte des desserts propose diverses options divertissantes. À retenir : un choix de quatre mignardises à 11 $ et un granité au sapin sur lit de fruits à l’alcool, ce soir-là de succulentes petites fraises batifolant dans un bain de gin Ungava.
Ce plat est si savoureux que je vous mets au défi de ne pas mordre le premier tronc de sapin que vous croiserez cet automne lors d’une de vos promenades en forêt.
Le décor a été conçu de façon à surprendre tout en mettant à l’aise ; beaucoup de détails de décoration échappent aux standards auxquels nous sommes habitués et peu de restaurants peuvent compter sur un perroquet, une serre à orchidées et, aux murs et au plafond, des objets qui tournent et amusent. Le service est précis, courtois et chaleureux. La cuisine vibre de cette énergie appliquée qui distingue les maisons où le travail est fait consciencieusement, y compris dans la douce folie d’un chef hors normes.
Dans une pièce voisine de la serre où se réjouissent une ribambelle d’horloges, Ritalin trône en souriant. Au sortir du restaurant, les clients ont le même sourire de félicité. Comme après un premier rendez-vous galant au cours duquel il s’est passé de grandes choses et que l’on devine annonciateur d’une longue relation.
Carte des vins plaisante sur laquelle monsieur Aubry se serait sans doute extasié s’il n’était pas parti déguster grands crus et petits vins dans le Sud-Ouest. Mon ami Jean est homme de devoir.