Migration interrégionale au Québec: les banlieues et les régions attirent de plus en plus

Camille Feireisen Collaboration spéciale
L’an dernier, 2,5% des Québécois ont changé de région administrative, ce qui reste inférieur au niveau des années 1990.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L’an dernier, 2,5% des Québécois ont changé de région administrative, ce qui reste inférieur au niveau des années 1990.

Ce texte fait partie du cahier spécial Habitation

Si les Québécois déménagent moins dans d’autres régions administratives (MRC) depuis une quinzaine d’années, l’an dernier a marqué une hausse de départ des jeunes familles montréalaises vers la banlieue. C’est ce que révèle le dernier bilan de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), qui souligne qu’en revanche, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine a le vent dans les voiles auprès des Montréalais.

L’an dernier, Montréal a perdu 19 900 citoyens. La proportion des personnes venues s’établir dans l’île est toutefois demeurée stable, soit 38 600. Ce sont en revanche ceux qui ont décidé de quitter l’île qui ont été plus nombreux, à 58 500.

Selon les données de l’ISQ, les jeunes familles sont celles qui délaissent le plus la métropole. « Le déficit marqué chez les 0-14 ans indique que les familles avec enfants demeurent plus nombreuses à quitter l’île qu’à s’y établir », note le rapport.

Le directeur du Département de sociologie à l’Université Laval, Dominique Morin, souligne quelques raisons pouvant pousser les jeunes de 25 à 29 ans à changer de région, au profit de villes comme Gaspé, Percée, Bonaventure ou Avignon, qui enregistrent plus d’arrivées que de sorties. « Bien qu’étant des espaces ruraux, ces régions ont acquis un caractère d’urbanité avec le développement touristique. Elles deviennent des espaces pouvant attirer de jeunes adultes rêvant de concilier travail, accès à la propriété et plein air. »

Même chose pour Laval, qui, même si elle peut encore compter sur l’arrivée de Montréalais (5000 en 2017), voit de plus en plus de ses résidents partir pour sa périphérie depuis 2010. L’an dernier, 3138 Lavallois ont quitté Laval pour les Laurentides, 900 pour Lanaudière et 411 pour la Montérégie.

Des régions plus attrayantes

 

Les données démontrent aussi que le marché du travail influence la prise de décision, selon la démographe de l’ISQ Martine St-Amour. « Par exemple, avec les nouveaux emplois à la scierie de Port-Daniel, située dans la MRC du Rocher-Percé, on remarque un solde migratoire positif », souligne-t-elle.

L’an dernier, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine a gagné quelque 120 nouveaux résidents. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais cela démontre notamment une certaine « disponibilité de l’emploi dans la région », selon la démographe. Elle mentionne en exemple les efforts de recrutement entrepris par le fabricant de pales d’éoliennes LM Wind Power à Gaspé. « C’est d’ailleurs La Côte-de-Gaspé, où se situe cette usine, qui a accueilli le plus de migrants interrégionaux [+92]. »

L’accès à la propriété entre aussi en jeu, souligne M. Morin. « Ces espaces que l’on voyait comme voués à être dévitalisés dans les années 1990 deviennent des espaces d’opportunités pour des jeunes. » Il cite en exemple l’organisme Place aux jeunes en région de Sainte-Foy qui aide les jeunes à s’établir dans des espaces ruraux ou des petites villes. « Leur publicité fait écho aux désirs qu’ils rencontrent chez ces jeunes. On y présente des festivals de musique en plein air, une maison à deux étages qu’on n’aurait pas les moyens de se payer à Laval et des espaces pour l’entrepreneuriat, avec l’ouverture de microbrasseries par exemple. »

Mais les disparités persistent au sein même des MRC, nuance M. Morin. La Haute-Gaspésie reste peu attrayante pour les jeunes, au contraire de Gaspé. Et il n’est pas facile de concurrencer certains coins, comme la baie des Chaleurs et la région de Percé, citées par le magazine National Geographic et attirant de nombreux touristes chaque année.

La migration évolue aussi en fonction des groupes d’âge. Ceux de 65 ans et plus sont par exemple plus nombreux à quitter la Gaspésie (-39) qu’à y entrer. « Les gens se rapprochent probablement de leurs enfants, mais aussi des villes qui offrent des services de soins de santé pour les aînés en perte d’autonomie », note M. Morin.

Contrairement à la Gaspésie, l’autre côté du Saint-Laurent continue de perdre des résidents. Pour une quatrième année d’affilée, la Côte-Nord enregistre des pertes nettes : 1092 personnes ont quitté la région, soit 1,2 % de sa population, principalement au profit de la région de Québec.

La portée des données

 

Ces données dressent aussi un portrait du cycle de vie des Québécois, considère M. Morin. Elles disent par exemple que les jeunes de 20-24 ans vivent plus longtemps chez leurs parents. En 2001-2002, ils étaient de l’ordre de 7,5 % à changer de région administrative, aujourd’hui ils ne sont plus que 5,5 %.

Les données soulignent également que même si Montréal reste attrayante pour les étudiants, avec un solde positif pour les jeunes de 15-24 ans, les gains sont moins élevés qu’à la fin des années 1990. Ils étaient alors d’environ 3 %, contre environ 1,5 % aujourd’hui. Cela pourrait en partie s’expliquer par l’offre collégiale et universitaire qui s’est diversifiée en région, explique Mme St-Amour. « Il y a un développement de la formation universitaire notamment à distance. Les jeunes ont moins l’obligation d’aller étudier ailleurs. »

En dévoilant la répartition de la population, ces données peuvent avoir un intérêt pour les acteurs politiques et sociaux des régions. « Par exemple, lorsqu’une région perd des jeunes et attire plus d’aînés, le vieillissement de la population sera plus rapide qu’ailleurs », indique Mme St-Amour.

Cela peut, entre autres, inciter à mettre en place des services qui seront nécessaires au cours des prochaines années. À Montréal, la mairesse Valérie Plante dit vouloir améliorer l’offre en habitation. « Montréal va bonifier son offre financière pour faciliter l’achat d’une première propriété, surtout pour les familles avec enfants. Il semble y avoir une volonté d’une meilleure rétention des résidents », estime Mme St-Amour.

Au total l’an dernier, 2,5 % des Québécois ont changé de région administrative, ce qui reste inférieur au niveau des années 1990 (3 % par année). Les données utilisées ne prennent ni en compte les résidents non permanents, ni les mouvements de population issus de l’immigration ou des changements de province.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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