Le métier de designer d’intérieur sous la loupe humaniste

Sophie Suraniti Collaboration spéciale
Le designer doit avoir une attitude empathique. Il faut qu’il soit proche de la personne pour comprendre la manière dont celle-ci évolue dans un environnement.
Photo: Thinkstock Le designer doit avoir une attitude empathique. Il faut qu’il soit proche de la personne pour comprendre la manière dont celle-ci évolue dans un environnement.

Ce texte fait partie du cahier spécial Habitation

En compagnie de Virginie LaSalle, designer d’intérieur, professeure invitée à l’École de design et doctorante à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, on poursuit le questionnement sur ce métier créatif qui place l’individu au coeur de ses préoccupations et de sa pratique. Comment celle-ci évolue-t-elle, se distingue-t-elle ou se confronte-t-elle aux divers contextes de vie ?

Comprendre, anticiper, respecter les espaces à vivre

Nos espaces actuels, publics ou privés, mutent rapidement, et encore plus depuis l’arrivée des outils d’information et de communication. On leur demande d’être flexibles, moins prédéterminés (je peux manger dans mon bureau, travailler sur le sofa), tout en conservant du sens. C’est l’une des premières difficultés du métier de designer : réussir à calquer le mode de vie des futurs occupants d’un lieu, penser aux changements en cours et, surtout, être capable de les anticiper. Mais, si les territoires ne sont plus prédéterminés, comment l’individu va-t-il se les approprier ? Comment les rapports sociaux vont-ils s’organiser dans ces nouveaux contextes ? D’autant plus que la notion de mémoire s’invite dans le décor. Réinventer les espaces, les cadres de vie, oui. Sans oublier que les gens ont une mémoire individuelle et collective, des bagages culturels. « L’espace porte des valeurs, mais il a aussi une valeur pour la personne qui l’habite », résume Virginie LaSalle.

Savoir particulariser les espaces d’après ses occupants

Autre particularité dans la pratique professionnelle du designer : son obligation d’aborder un projet selon le profil des occupants, aux besoins ou usages très spécifiques. Au cours du XXe siècle, on a tenté d’uniformiser les espaces : la dimension des meubles, la hauteur des poignées de porte, etc. Dans les dernières décennies, on s’est rendu compte que la normalisation engendrait des espaces non adaptés pour certains groupes (enfants, aînés, personnes à mobilité réduite, etc.). Le designer doit avoir une attitude empathique. Il faut qu’il soit proche de la personne pour comprendre la manière dont celle-ci évolue dans un environnement. Il doit développer cette sensibilité et montrer sa capacité à s’adapter à des situations complexes et variables. Penser l’espace à partir de la personne est un phénomène plutôt récent dans la pratique. « Dans ses travaux sur la communication interculturelle, l’anthropologue américain Edward T. Hall parle de proxémie : les rapports humains s’entremêlent dans l’espace. C’est la dimension culturelle, cachée, de l’habitation spatiale », aime à rappeler Virginie.

Ouverture, fermeture, transition

 

Les pièces de transition — des aires communes permettant le passage vers d’autres, plus intimes — devraient être travaillées. Virginie LaSalle s’y intéresse particulièrement dans le cadre de son doctorat en aménagement. Hall d’accueil, corridor, vestibule : autant de zones-tampons, de seuils transitoires mal pensés ou trop souvent négligés. Il est vrai que l’architecture moderne a « explosé la boîte » : l’ouverture des intérieurs pour faire entrer la lumière naturelle, laisser circuler l’air. Mais les attentes, d’un groupe social à l’autre, divergent, et donc les manières d’habiter l’espace. Virginie insiste à ce propos sur l’importance de la coexistence d’extrêmes : d’un côté, le besoin de délimiter certains espaces comme la cuisine, la chambre, la salle de bain, encore aujourd’hui traitées à part, compartimentées ; de l’autre, des espaces ouverts, flexibles, multifonctionnels. À plus forte raison lorsque les gens bricolent leurs espaces, principalement chez eux, mais aussi dans leur lieu de travail. Le designer doit donc laisser libre cours à cette appropriation de l’espace par l’occupant. Quelques recoins par ici, une pièce modulable par là… Empathie !

La démocratisation du design ? Reprendre le contrôle

Évoquez la démocratisation et aussitôt apparaissent des images de presse-citron, de brosse à dents et de longues files d’attente à la caisse d’un entrepôt du géant suédois ! Pour des spécialistes comme Virginie LaSalle, cette notion résonne toutefois différemment. Elle correspond à la volonté d’améliorer les conditions de vie des individus, en Europe, au début du XXe, moment de l’émergence de l’habitat moderne (notamment avec Le Corbusier). Depuis, les préoccupations de l’amélioration du cadre de vie des individus se poursuivent, avec un rôle grandissant adopté par les différentes professions concernées : ingénieurs, architectes, aujourd’hui designers. « Pour moi, cela fait partie de cette prise de conscience générale de l’importance de notre milieu de vie. Le rôle du designer est de travailler directement avec les gens pour leur amener l’expertise qu’ils n’ont pas forcément. » La démocratisation du design, c’est aussi le fait que tous nos espaces de vie font l’objet d’une réflexion. Comme le rappelle la professeure : « On monte nos meubles, mais on les détourne aussi ! Il y a donc cette volonté de s’approprier les choses. L’individu reprend du contrôle sur les espaces dans lesquels il évolue. » Espaces qui ne sont d’ailleurs pas uniquement physiques, mais aussi immatériels ou virtuels…

L’approche créative du métier, avant tout

Oui, le designer doit comprendre la société dans laquelle il vit. Mais ces acuités humanistes et empathiques ne sont pas innées et s’acquièrent progressivement, au fil de l’enseignement et de la pratique professionnelle. Car il ne faut pas oublier l’approche créative de l’espace, qui reste le coeur de cette discipline encore jeune, historiquement rattachée aux arts. Composition, couleurs, perception, manipulation de l’espace, confort… L’objectif ? Créer des espaces toujours mieux pensés. Même si l’humain fait parfois preuve de résilience dans son environnement. Pouvons-nous habiter à peu près n’importe où ? Oui, mais à quel prix ? Est-ce que tout le monde demande un peu plus de design ? Peut-être pas. Est-ce que tout le monde reconnaît un espace bien conçu, mieux adapté ? Sans aucun doute !

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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