Des aliments nés ailleurs et produits ici

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale
Légumes asiatiques cultivés par la maraîchère Stéphanie Wang à la ferme Le Rizen
Photo: Virginie Gosselin Légumes asiatiques cultivés par la maraîchère Stéphanie Wang à la ferme Le Rizen

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Légumes, fines herbes, fleurs, épices, champignons, fromages, viandes ; les aliments aux consonances exotiques que nous cuisinons ne sont plus juste le fruit d’importations lointaines, mais aussi celui d’initiatives locales qui font rayonner la diversité culturelle dans nos assiettes. Gros plan sur un terroir québécois de plus en plus cosmopolite.

Plus personne n’est étonné, aujourd’hui, de trouver à l’épicerie du bok choy, des edamames, de l’okra, du boeuf Wagyu, des shiitakés, ou encore de la mozzarella de bufflonne.Par contre, la surprise peut être au rendez-vous quand nous apprenons que de tels aliments sont produits ici même, au Québec. Et ce, parfois depuis belle lurette.

Le Bédouin, fromagerie polyethnique

Il y a de cela 30 ans, lorsqu’on évoquait le labneh, l’halloumi ou le nabulsi, la plupart des Québécois ignoraient tout ou presque de ces produits fromagers associés à la communauté libanaise. Pourtant, depuis 1995, les gammes de fromages Phoenicia et Cedar, que l’on trouve dans les marchés Adonis, ne proviennent non pas du Liban… mais d’une petite usine créée par des fermiers québécois de Saint-Robert, en Montérégie !

« L’histoire de notre fromagerie est assez originale, admet Camille Salvas, fille d’un des fondateurs de cette initiative, qu’elle dirige avec lui depuis cinq ans. Les propriétaires d’Adonis ont en fait approché mon père et ses collègues parce que personne ne voulait produire ces fromages particuliers pour eux. »

Photo: Le Bédouin Fromage halloumi produit à la fromagerie polyethnique Le Bédouin

L’occasion d’affaires a intéressé les fermiers. Mais produire de tels fromages dans les règles de l’art au Québec constituait un gros défi. « Pour comprendre leur fabrication, nous avons accueilli des grands-mamans libanaises à l’usine et sommes allés chercher une cuisinière de maison pour qu’elles nous montrent comment elles s’y prenaient, raconte la fromagère. Nous avons même, pendant 10 ans, utilisé tout comme elles des poches en tissu (ces dames utilisaient traditionnellement des taies d’oreiller) pour permettre au petit-lait de s’égoutter après la cuisson du yogourt, afin de maximiser le côté crémeux des produits. »

Aujourd’hui, une machine sur mesure a remplacé les poches en tissu, et la fromagerie polyethnique Le Bédouin a bien grandi, puisqu’elle dispose de sa propre gamme de fromages moyen-orientaux. Mais les valeurs d’ouverture qui ont fait le succès de cette entreprise n’ont pas disparu. En effet, depuis un an, l’usine dispose d’une nouvelle ligne casher pour produire, sous la marque Mehadrin Dairy, du cottage old fashioned, un fromage dont est friande la communauté juive.

« J’ai l’impression de vivre en ce moment la même expérience que mon père a vécue il y a 30 ans ! lance Camille, qui gère ce projet. Comme lui, j’ai travaillé étroitement avec des membres de cette communauté pour développer leur fromage.Et j’ai même eu la larme à l’oeil quand, émus, ils nous ont remerciés d’avoir trouvé la recette parfaite pour eux. Je suis fière de poursuivre cette mission tournée vers l’autre. »

Le Rizen, un nouveau modèle agricole

Issues ou non de la diversité culturelle, les initiatives menées au Québec en matière de productions exotiques sont souvent liées à une belle histoire humaine. Aux Jardins Lakou, par exemple, le maraîcher et entrepreneur social Jean-Philippe Vézina cultive des légumes particuliers (patates douces, okras, christophines, etc.), afin de rendre hommage à ses racines culinaires antillaises et africaines.

De son côté, Stéphanie Wang, qui a grandi en ville entourée de parents originaires de Canton (Chine), a fait des études en sociologie et travaillé pour différentes organisations agricoles, ici comme à l’étranger, avant de se lancer en 2016 dans un projet mêlant maraîchage et transformation sociale.

« En fondant Le Rizen, explique-t-elle, j’ai voulu répondre à un besoin, celui de légumes asiatiques biologiques frais qu’on était incapables de trouver dans le commerce, même au Kim Phat. À un second degré, j’ai aussi la conviction de faire partie de la solution en participant à un modèle de ferme pérenne et orienté vers la souveraineté alimentaire. »

Ces deux missions, Stéphanie les mène conjointement depuis le village de Frelighsburg, en Estrie, au sein de la ferme collective agroécologique Les Cocagnes. Elle y produit une quarantaine de variétés de légumes et fines herbes asiatiques connus, comme le chou chinois, la citronnelle, le gingembre et le basilic thaï, ou bien plus originaux, comme le chrysanthème comestible, la celtuce (laitue asperge), l’amarante et le gai lan (brocoli chinois).

Stéphanie a également cosigné en 2022, avec ses deux soeurs, le livre Légumes asiatiques (éditions Parfum d’encre), qui démocratise ces cultures en sol québécois. Puis elle a récemment remporté le titre de Productrice de l’année 2023 aux Lauriers de la gastronomie québécoise. Si bien que l’idée de consommer et de faire pousser des légumes à première vue trop exotiques pour notre climat gagne de plus en plus d’adeptes.

« Je constate que mes clients sont ouverts d’esprit, qu’ils ont envie de découvrir de nouvelles saveurs et textures.Et depuis la parution du livre, j’ai aussi remarqué un attrait indéniable pour la culture de certains légumes, comme le choy sum (chou cantonais), aussi versatile que du bok choy, mais au goût plus intéressant », indique la maraîchère militante, qui mène parallèlement une grande bataille pour un Québec agricole plus diversifié, durable et autonome. Une belle source d’inspiration.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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