Des cidres de glace et de feu
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
Après avoir été longtemps boudés, les cidres du Québec ont connu un développement impressionnant au cours des 30 dernières années et ils tiennent le haut du pavé sur les tablées du temps des sucres. Parmi les nombreuses variations que l’on peut trouver figurent deux produits singuliers : le cidre de glace et le cidre de feu. Mais si le premier a eu tellement de succès qu’il est devenu un de nos emblèmes à l’échelle internationale, le second peine encore à se faire connaître. Qu’est-ce qui les distingue et pourquoi méritent-ils tous deux de se laisser découvrir ?
Les petites histoires du cidre de glace et du cidre de feu sont aussi cocasses l’une que l’autre. On doit l’invention du cidre de glace au viticulteur d’origine française Christian Barthomeuf, qui a aussi été le premier à réaliser un vin de glace au Québec au sein du Domaine des Côtes d’Ardoise à Dunham, comme il le raconte dans son livre Autoportrait d’un paysan rebelle. En 1989, alors qu’il était en train de cueillir du raisin Vidal gelé dans les vignes, il s’est soudain dit, en contemplant le verger de son voisin : « Pourquoi ne ferais-je pas la même chose avec des pommes ? »
Il lui a donc acheté quelques caisses de pommes et les a mises à geler sur sa galerie et dans son cabanon pendant quelques semaines, avant de les presser manuellement. « Ça a été un énorme gâchis ! se souvient-il. J’ai seulement pu en tirer une dizaine de litres, mais la liqueur obtenue l’été suivant en valait la peine. » M. Barthomeuf a ensuite raffiné l’élaboration de son invention et a obtenu en 1992 son premier permis de production de cidre liquoreux, qui s’est officiellement appelé cidre de glace à compter de 1996 et a rapidement conquis les papilles des Québécois et de leurs visiteurs, à travers de multiples créations de cidriculteurs.
Le cidre de feu, pour sa part, a vu le jour… dans une cuisine ! Normand Lamontagne, son inventeur, était mécanicien-soudeur pour le vignoble de L’Orpailleur, à Dunham également, mais aussi passionné par les alcools et patenteux dans l’âme. Il a ainsi eu l’idée, au début des années 1990, de s’inspirer du processus de fabrication du sirop d’érable en faisant évaporer l’eau du jus de pommes qu’il avait mis à chauffer dans une casserole. Comme le résultat était intéressant, une cidrerie tout près de là en a acheté les droits. Si bien que, dans les années 2010, Union Libre est devenue la pionnière du cidre de feu, qui a obtenu son appellation en 2012. Jusqu’à ce qu’en 2022, L’Orpailleur rachète Union Libre. « C’est assez amusant de savoir que ce produit est en quelque sorte revenu à ses racines », lance en plaisantant le vigneron Charles-Henri De Coussergues, propriétaire de ce domaine, qui produit à la fois des vins et des alcools à base de pommes.
Deux recettes distinctes
Il faut dissocier le cidre de glace et le cidre de feu, car en dehors des pommes qui servent à leur fabrication, ils n’ont rien en commun. Le premier repose sur la concentration des sucres dans la pomme grâce au froid. On obtient ce résultat par cryoextraction — les pommes sont cueillies gelées sur les arbres — ou par cryoconcentration — les pommes sont cueillies et pressées à l’automne, et c’est leur moût qui passe l’hiver dehors.
M. Barthomeuf, propriétaire depuis 2003 du Clos Saragnat à Frelighsburg, où il produit des vins et des cidres biologiques de niche, fait partie de la poignée de producteurs qui préfèrent la méthode de cryoextraction, moins productive quantitativement mais plus qualitative. Il utilise aussi des variétés de pommes particulières, qui ne sont pas destinées à la table, et il fait fermenter le moût des pommes gelées dans de petites cuves de 200 litres pendant trois ans, ce qui le distingue de ses concurrents. « On obtient alors un cidre de glace d’une belle couleur ambrée, avec des notes de pêche, d’abricot séché, de compote de pommes et de tarte Tatin », explique-t-il.
Pour le cidre de feu, la variété des pommes importe peu à la base, car le fait que leur jus soit chauffé jusqu’à ébullition et soit réduit à 80 % provoque la perte des arômes primaires des fruits. Pour opérer ce processus, on utilise donc des pommes mûres que l’on presse, dont on fait évaporer le jus dans des installations d’érablière. Une fois que l’on a obtenu un sirop de pommes, on ajoute des levures et on le fait fermenter, de quelques semaines à un an, à très basse température dans des cuves en acier inoxydable ou dans des fûts de chêne ayant accueilli d’autres alcools auparavant.
« En fin de compte, on obtient un produit avec des notes de pommes au four, de caramel et de pruneau séché », explique Charles-Henri De Coussergues, qui croit beaucoup au potentiel du cidre de feu, moins sucré que le cidre de glace (en moyenne, 80 g de sucre résiduel par litre, plutôt que de 130 g à 200 g par litre), apte à de nouvelles expérimentations et qui vieillit mieux que son pair de glace, à ses yeux. Et ce, même si M. Barthomeuf produit de son côté un cidre de glace hors d’âge qui réunit tous ses millésimes depuis 2003 et qui est très prisé des sommeliers.
Au sortir de ces deux rencontres, nous retenons finalement que le cidre de glace et le cidre de feu sont deux produits évolutifs qui ne manquent ni de personnalité ni de séduction. Bonne dégustation !
Autres suggestions cidricoles
Cidres de glace
• Le Glacé de la Cidrerie Milton : un cidre liquoreux au ratio bien balancé sucre/acidité, avec 10 % d’alcool et un bon potentiel de vieillissement.
• Cidre de glace Cartier-Potelle : bardé de médailles, ce cidre à la vive acidité et au nez exubérant exhale des arômes de pomme mûre, de caramel, de cassonade et de miel.
• Poiré de glace du Domaine des Salamandres : pourquoi seulement des pommes, quand les poires se travaillent aussi très bien sous forme de liqueur ? Le Domaine des Salamandres produit trois poirés de glace d’une belle longueur en bouche et aux arômes plus ou moins complexes.
Cidres de feu
• Prestige du Domaine Labranche : assez sucré (il compte 170 g de sucre par litre), mais apprécié des compétitions, ce cidre de feu à la robe ambrée dégage des notes d’épices douces, de pommes compotées, d’écorce d’orange, de caramel et de miel.
• Le St-Laurent de la cidrerie La pomme du St-Laurent : dans ce cidre de feu à 11,5 % d’alcool, ce sont les arômes de pommes cuites, de miel et de caramel qui ressortent.
• Feu de Qui sème récolte : caramel et pommes cuites sont au rendez-vous dans ce produit lanaudois.
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