Jean-François Pelchat et l’univers exalté des vinaigres

L’appel de la campagne résonnait si fort pour le sommelier Jean-François Pelchat qu’il se devait de « trouver une raison » de passer du béton aux prés. La réponse fut inusitée, mais en parfaite concordance avec ses passions pour le vin et la cuisine. C’était décidé, il allait devenir un créateur de vinaigres.
« J’avais déjà eu un vinaigrier dans le passé et j’aime cuisiner. Comme représentant en vins, j’avais aussi toujours des fonds de bouteille et je ne voulais pas les gaspiller, lance-t-il comme prémisse. Un moment donné, j’ai allumé : du vinaigre ! Au Québec, il n’y en a pas tant que ça et c’est souvent du vinaigre de cidre. »
Inspiré par la méthode traditionnelle d’Orléans, en France, où l’on fait des vinaigres artisanaux en petits volumes, il quitte Québec pour la campagne de Saint-Pierre-de-Broughton, dans Chaudière-Appalaches. « Sur la propriété, il y avait trois pommiers mal entretenus et des champs pour faire du foin.
Tout autour, dans les haies brise-vent, il y a de la cerise à grappes. Je me suis mis à la récolter et à tester des façons de faire du vin. Souvent, le vinaigre est vu comme l’aboutissement d’un vin qu’on n’a pas entretenu. Moi, je me dis toujours : “Si je n’ai pas envie d’en boire, pourquoi est-ce que j’en ferais du vinaigre ?” »
Le projet La Villa vinaigres & jardins a démarré tranquillement, mais sûrement, en 2012. L’élaboration naturelle du vinaigre est longue. Entre la récolte du fruit, les tests de vins, la transformation et le vieillissement en vieux fûts « pour arrondir l’acidité », le temps passe. Beaucoup.
Le vinaigre de cerise à grappes mis en marché cet automne a pris naissance en 2017. « Du vinaigre artisanal, c’est long à faire, explique Jean-François Pelchat. Et ce qui m’intéresse, c’est de faire des trucs qui ont de la finesse, un beau détail aromatique et qui peuvent être bus en limonade [par exemple], pour remplacer le citron. […] Je cherche avant tout à faire des produits qui se distinguent. » À ses dires, il n’a que de bons commentaires. « Dans mon village, on est 900 habitants. À l’épicerie, la dame me dit que ceux qui achètent un de mes vinaigres reviennent et en achètent une autre sorte. C’est encourageant ! C’est rassurant ! » souligne-t-il.
Si le temps de production limite, pour l’instant, le développement de sa marque de vinaigres, l’attente sait nourrir les idées et les amalgames inédits. Poire et fleurs de lilas, betterave, citron et clémentine, ou encore rose, poivre des dunes et sureau ; le terroir tout comme le plaisir de la cuisine sont une mine d’or de possibilités. « Pour l’inspiration, j’y vais au gré du vent, de ce que j’ai de disponible », raconte Jean-François Pelchat. « Patrick Dubé [chef au Labours du Germain Charlevoix] m’a demandé un vinaigre de légumes. J’avais un peu de vinaigre de vin blanc, j’ai ajouté de la carotte bio que j’ai fait macérer. Puis, pour ajouter un petit quelque chose pour plus de profondeur, ma coriandre était en train de monter en graines, alors [j’en ai mis]. Ç’a un goût assez explosif. »
Actuellement, M. Pelchat produit 10 variétés récurrentes, distribuées dans une dizaine de boutiques un peu partout au Québec. « Je mets plus d’emphase sur certains, dont celui au miel. Le vinaigre à la framboise, c’est le plus gros vendeur. C’est un produit que j’ai fait pour répondre à la clientèle, c’est un produit rassurant ! Puis celui à la cerise, c’est un peu de l’attachement. C’est l’idée de faire ce que je peux avec les fruits qui viennent de chez nous. Je l’ai nommé Renart avec un “t”, d’après Renart, héros du Roman de Renart, un recueil de contes animaliers de l’époque médiévale. »
Ces vinaigres non filtrés ni pasteurisés se découvrent tant en cocktails que sur des huîtres ou des tranches de concombre, des aliments qui donnent la place aux nuances du vinaigre. Il les propose aussi sur « les pot-au-feu et les bouillis. Ça ajoute une dimension ».
Ne pas transformer mécaniquement et n’ajouter ni agent de conservation ou arômes dans ses produits est une question de valeurs. « Je consomme des aliments bios, j’aime les vins nature, pour moi, c’est naturel de faire quelque chose qui est naturel, justement. »
C’est sans surprise qu’on apprend que Jean-François Pelchat joue dans la nature pendant que ses vins tournent au vinaigre. Il s’affaire à déployer un verger où les arbres fruitiers de cerises, de prunes, de poires, de pommes, côtoieraient des noyers, des noisetiers, sans jamais faire de traitement chimique. « C’est une question de cohérence. »