Faire pousser ses racines

Catherine Lefebvre Collaboration spéciale
Pour se démarquer sur  le marché, Edem Amegbo cultive des légumes africains, ce qui n’est pas pour déplaire à la communauté africaine ou aux Québécois curieux.
Photos Fabrice Gaëtan Pour se démarquer sur le marché, Edem Amegbo cultive des légumes africains, ce qui n’est pas pour déplaire à la communauté africaine ou aux Québécois curieux.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Edem, Jean-Philippe, Sylvia et Hamidou ont un point en commun : ils cultivent ici des légumes connus des cuisines africaines, caribéennes et latino-américaines. Quand on y pense, les tomates, les courges et les piments font partie de plusieurs cultures culinaires. Les espèces et les recettes changent, mais le fruit de leurs récoltes rassemble tout le monde à la même table, celle où l’on partage un repas réconfortant qui nous rappelle des souvenirs d’enfance, de voyage, ou qui nous fait découvrir de nouveaux horizons gastronomiques. Visite des jardins de quatre agriculteurs qui ont pris racine en terre québécoise.


  

Edem Amegbo, au Jardin d’Edem (à East Farnham)

En entrant dans l’une de ses serres, Edem Amegbo me pointe des plants de brède mafane (plante herbacée de la famille des astéracées). « C’est un ami malgache qui m’a parlé de ça », raconte-t-il en s’en allant vers les plants de citronnelle et d’épinards africains qui poussent à côté.

Originaire du Togo, un petit pays de l’Afrique de l’Ouest, Edem arrive au Québec à 20 ans afin de terminer ses études en électronique industrielle.Il travaille pendant dix ans à IBM mais, petit à petit, il s’y ennuie. En 2012, il profite de ses vacances pour aller travailler à la ferme d’André Samson à Farnham. « J’ai fait deux saisons là-bas, indique-t-il. Puis, je suis allé chercher un certificat à l’Université Laval avant de me lancer en agriculture. »

Pour lui, le bio était une évidence. Il voulait offrir des paniers, considérant qu’il s’agit là d’une des meilleures façons pour les petits producteurs de pénétrer le marché. Afin de se distinguer, il plante alors des légumes connus des Québécois d’origine africaine. « On n’en trouve pas sur le marché, note-t-il. Ils sont toujours importés, congelés, souvent non bios. » Les abonnés à ses paniers sont loin toutefois d’être tous d’origine africaine. « Les clients sont curieux et veulent découvrir les légumes africains, alors que je n’en ai même pas assez pour la communauté africaine ! » raconte celui qui produit aujourd’hui environ 20 % de légumes africains et 80 % de légumes d’ici. Si la tendance se maintient, tout porte à croire qu’il pourrait cependant inverser cette proportion dans un futur rapproché, croit-il.


   

Jean-Philippe Vézina, Les Jardins Lakou (à Dunham)

En arrivant aux Jardins Lakou, les nuages annonçant l’orage planent au-dessus de Dunham. Jean-Philippe Vézina s’en réjouit. Nous nous mettons à l’abri aux côtés de ses semis de taro, de piments et de chayotte.

Formé en sociologie et en anthropologie, le Montréalais d’origine haïtienne a d’abord travaillé en tant que consultant pour les organismes communautaires. C’est en 2017, lors d’un voyage en Haïti, que l’idée de cultiver la terre a commencé à germer. « J’avais besoin de continuer mon cheminement personnel de reconnection avec mes racines antillaises-africaines, raconte-t-il. En tant qu’enfant adopté, je n’ai pas eu l’occasion de grandir dans la culture haïtienne. »

Photo: Catherine Lefebvre Jean-Philippe Vézina s'intéresse tout particulièrement à l’agriculture des Afro-descendants.

À l’époque, il travaille tellement qu’il finit par souffrir d’épuisement professionnel. C’est l’occasion pour lui de réfléchir à son mode de vie. Il y a deux ans et demi, il prend le virage agricole et s’intéresse tout de suite particulièrement à l’agriculture des Afro-descendants.

« L’histoire des Noirs avec la terre est très tumultueuse, rappelle-t-il. Si l’on pense à la raison pour laquelle on a été amenés dans les Amériques et dans quelles conditions ça a été fait… On travaillait souvent dans les champs jusqu’à la mort. »

La richesse des terres dans les Amériques repose en effet beaucoup sur les connaissances agricoles des esclaves, ainsi que sur plusieurs traditions autochtones. « L’idée est de créer un espace de guérison avec la terre, précise-t-il. Je souhaite par ailleurs l’honorer et être conscient qu’elle appartient toujours aux Premières Nations. De là l’idée des jardins Lakou, mot qui désigne la cour en créole. »

Ainsi, au fil de la saison, ses abonnés recevront des produits que l’on retrouve rarement sur les étals du Québec, tels que du chou chinois, du taro, des ocras, des aubergines africaines et du jicama, en plus de toutes sortes de fines herbes.


  

Sylvia Meriles, Les Jardins épicés (à L’Île-Bizard)

J’arrive aux Jardins épicés en fin de journée. Les deux enfants de Sylvia Meriles s’amusent autour de la minifourgonnette en attendant que leur mère termine sa longue journée de travail.

Photo: Catherine Lefebvre Sylvia Meriles s'est lancée en affaires en 2013.

En Bolivie, d’où elle est originaire, son expertise d’agronome l’a menée à mettre en œuvre des programmes de reforestation, d’amélioration de la production laitière et de gestion des matières recyclables. Lorsqu’elle arrive au Québec, la jeune femme passe ses équivalences avant d’obtenir une maîtrise en gestion intégrée des ressources en eau de l’Université McGill. Elle travaille ensuite comme ouvrière dans diverses entreprises maraîchères, mais est visiblement surqualifiée et décide lors de son deuxième congé de maternité de lancer sa propre entreprise. Nous sommes en 2013.

À l’époque, elle cultive principalement des légumes de l’Amérique latine, si ce n’est quelques tomates et courgettes. Mais ce sont ces dernières qu’elle vend le plus et elle adapte donc son offre en fonction de la demande du marché. Il y a deux ans, elle rejoint le Réseau des fermiers de famille d’Équiterre et livre aujourd’hui 75 paniers bios par semaine. « C’est vraiment la façon la plus stable et la plus sécurisante de faire pour les plus petits maraîchers », affirme-t-elle.

Et si les plantes comme la huacatay (menthe péruvienne) et l’epazote (thé mexicain) ne se retrouvent pour l’instant que rarement dans ses paniers, elle garde espoir. « Après tout, le basilic [originaire du sud de l’Asie, puis de la Méditerranée], ça lui a pris du temps avant de se retrouver sur toutes les tables et dans tous les jardins du Québec ! »


  

Hamidou Maïga, Hamidou Horticulture (à Verdun, Senneville et L’Île-Bizard)

« Rejoins-moi à la serre de Verdun à 8 h 30, me dit-il. Je vais toujours arroser les plantes avant d’aller aux champs. » La serre d’Hamidou Maïga est située dans les serres municipales de Verdun. Ses champs se trouvent à Senneville et à L’Île-Bizard, au nord-ouest de Montréal.

Après avoir fait ses études en comptabilité au Maroc, puis au Sénégal, Hamidou rentre chez lui au Niger, mais ne trouve pas de travail dans son domaine. Il décide alors d’exploiter les terres familiales. « Les gens commandaient les produits que je cultivais et je leur livrais ça à moto », raconte-t-il. Au-delà des dattiers, des citronniers et des manguiers, endémiques à ces latitudes, il commence à cultiver des fruits et légumes considérés comme exotiques au Niger, tels que les fraises. Au plus grand plaisir des Français et des Canadiens installés dans ce pays situé au cœur du Sahel.

Photo: Fabrice Gaëtan Hamidou Maïga dans sa serre située à Verdun, où son intérêt se porte sur la culture de fruits et légumes africains

Lorsqu’il déménage au Québec avec sa famille en 2008, il n’envisage pourtant pas de se lancer en horticulture. Il a une formation supérieure en comptabilité, après tout… mais c’était compter sans la non-reconnaissance de ses diplômes. Tant qu’à tout recommencer à zéro, autant aller en horticulture, se dit-il. Sans grande surprise, c’est dans la même optique que pour ses jardins au Niger qu’il conçoit alors Hamidou Horticulture. Il cible les Québécois d’origine africaine. Son plus grand bonheur est de les amener vers le sentiment d’extase que l’on ressent lorsque l’on goûte à un fruit ou à un légume faisant partie de notre culture culinaire, mais que l’on n’a pas eu l’occasion de manger depuis très longtemps.

Pour la première fois cet été, ses fruits et légumes issus de diverses cuisines africaines sont offerts au marché Laurier, à Montréal, tous les jeudis. Il collabore également avec le restaurant montréalais Virunga, qui met à l’honneur la gastronomie de l’Afrique subsaharienne, en plus de vendre ses semis et semences dans sa boutique en ligne et lors des événements de Cultiver Montréal.

Lui, Sylvia Meriles et Jean-Philippe Vézina travaillent par ailleurs de concert pour faire connaître leur offre. « Pour nous, l’avenir est de mettre en commun nos forces », affirme-t-il. Une façon aussi, selon lui, de valoriser le travail des agriculteurs. « Parce qu’on ne fait pas juste pousser des légumes, conclut-il. L’agriculture, c’est la base de ta culture ! »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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