Premiers ombles chevaliers élevés et livrés à Montréal

Six ans après des tests dans un garage de Villeray, les salmonidés du projet Opercule ont enfin été pêchés pour la première fois cette semaine. À bord des vélos de livraison La roue libre, quelque 135 ombles chevaliers ont fait le chemin de la Centrale agricole jusqu’à divers restaurants de la métropole.
Foxy, Lawrence, Montréal Plaza, voilà quelques-unes des adresses où ces poissons archi-locaux seront servis. Après un an de production soutenue, David Dupaul-Chicoine et Nicolas Paquin, les fondateurs de cette pisciculture urbaine — les premiers au Québec — sont fiers d’avoir l’appui de chefs qui appuient leur vision. « Comme nous, ils voient l’aspect écologique de la production de proximité. Ils sont aussi contents d’avoir un lien direct avec le producteur. C’est assez rare en pisciculture, indique David Dupaul-Chicoine, passionné d’agriculture et d’aquaculture depuis la vingtaine. Le commentaire qu’on reçoit le plus souvent c’est à quel point notre poisson est frais et que la chair est délicate. D’être appuyé par des restaurants comme ceux-là, c’est très gratifiant ! À certains moments, on est dans la pisciculture à regarder ce qui se passe et on réalise : “OK ! On a fait ça ?” » (rires) Il estime qu’entre 25 et 30 tonnes de poissons de 600 g à 1,5 kg seront livrées annuellement.
Inusitée et inédite, l’idée d’élever des ombles chevaliers en plein coeur de la ville a vite intrigué les chefs John Winter Russell (Candide) et François Nadon (Bouillon Bilk) qui ont été les premiers à tester et à commenter les essais faits dans un bassin installé dans le garage de David Dupaul-Chicoine.
« On a discuté des variétés de salmonidés, le poids des prises, de la rentabilité et de la fraîcheur qui est plus longue, relate M. Nadon. Comme plusieurs restos, on aime aider les nouveaux projets. Et pour nous, celui d’Opercule, ç’a en est un beau. Avoir un approvisionnement local qui respecte l’environnement, c’est pour ça qu’on l’encourage. » Le chef précise que ce produit vient aussi répondre à une demande de la clientèle qui aime connaître la provenance des aliments.
De l’oeuf à la table
Alors qu’ils étaient étudiants en aquaculture en Gaspésie — là où les poissons sont aussi élevés en bassin —, les futurs associés ont naturellement considéré la pisciculture en milieu urbain. Un coup d’oeil sur les normes environnementales, notamment pour la santé des bassins-versants, a restreint les espaces dans les alentours de Montréal. C’est finalement en plein centre de l’île, à la Centrale agricole de Parc-Extension, que le lieu s’est avéré idéal. En plus d’être proche d’un grand nombre de consommateurs, il permet de livrer les poissons à vélo pour réduire l’empreinte carbone.
L’environnement étant l’une de leurs priorités, le duo derrière Opercule a mis en oeuvre le premier système d’élevage en recirculation intensive de l’eau, de l’oeuf à la prise du poisson. La production utilise donc beaucoup moins d’eau, mais requiert un imposant système de filtration qui rejette les excréments en plus d’y injecter de l’oxygène. Une section des filtres est constituée de bactéries cultivées pour oxyder l’ammoniaque. En comparaison avec une production traditionnelle, de 100 à 200 fois moins d’eau sera utilisée.
Autre spécificité, la production de salmonidés a démarré avec la production d’oeufs dans les bassins afin qu’ils soient exempts de maladies. « Ç’a été un peu fou, mais on l’a fait ! » s’étonne encore l’entrepreneur de 33 ans. L’idée, « complexe à expliquer au gouvernement », a su séduire grâce à un plan d’affaires solide. « Avoir les permis a été l’étape la plus difficile. » Le dernier en lice, celui de transformation, permettra à Opercule de faire les différentes manipulations nécessaires à la vente sans passer par une autre entreprise. Pour David Dupaul-Chicoine, c’est signe qu’il peut réellement passer à la commercialisation. « Les bassins sont pleins ! » s’enthousiasme-t-il, entrevoyant déjà la suite : la vente des ombles chevaliers dans les petites épiceries et poissonneries environnantes.
Opercule partagera les dessous de son projet à Montréal en Lumière, samedi le 18 février dès 17h au Quartier Gourmand, à la Place des Arts