Plaidoyer pour la lecture des classiques

En cette rentrée scolaire marquée une fois de plus par un manque criant de personnel dans nos établissements d’enseignement public, un valeureux groupe d’enseignants du secondaire a proposé une idée pour le moins iconoclaste par les temps qui courent : créer un répertoire d’oeuvres classiques à lire obligatoirement dans le cadre du parcours en français au secondaire. L’enjeu de la place de la lecture à l’école, quoique moins immédiat que celui de la pénurie d’enseignants, permet à mon avis d’ouvrir la voie à une réflexion des plus pertinentes sur le rôle et la portée de notre système d’éducation.
Pour toutes les raisons que l’on connaît, le livre subit une compétition pour le moins déloyale au regard des possibilités de divertissement qui nous sont offertes aujourd’hui. Dans notre monde effréné où règne en maître la représentation complaisante de soi par le biais de l’image et de l’instantané, le livre apparaît plus que jamais déclassé par des contenus médiatiques qui requièrent, avouons-le, beaucoup moins d’effort et de concentration. Lire un roman exige attention, solitude et silence, conditions d’exercice rarement atteignables dans notre univers numérique et cacophonique. Tourner les pages d’un livre est devenu de nos jours une activité radicalement archaïque lorsqu’on la compare au scrolling sur TikTok.
Ainsi, l’idée de mes collègues de proposer une liste d’oeuvres incontournables devrait être collectivement entendue comme un rappel nécessaire et impératif : l’école demeure un des seuls espaces dans notre société où il est possible de découvrir la littérature et la culture au sens large, à savoir cet héritage culturel à transmettre d’une génération à l’autre. Un des professeurs militant pour la place des classiques à l’école souligne par le fait même l’écart qui existe entre les classes ordinaires et celles dites à « projets particuliers », où les exigences en lecture ne sont pas toujours les mêmes.
On a une fois de plus la preuve que notre système d’éducation à trois vitesses se répercute jusque dans la transmission des savoirs essentiels, les aptitudes en lecture constituant un des facteurs les plus déterminants de la réussite scolaire. En tant que professeur de littérature au cégep, je constate avec impuissance ces malheureux clivages qui perdurent entre étudiants d’horizons différents et j’enrage de voir à l’oeuvre les visées trop souvent clientélistes de notre système d’éducation, malgré lui catalyseur d’iniquités sociales.
En ce sens, l’école doit être a contrario l’incarnation privilégiée d’un idéal démocratique et humaniste, permettant l’égalité des chances. C’est pourquoi je plaide en faveur de la création d’une liste d’oeuvres classiques à lire en classe de français, ou quelque chose qui s’y apparenterait de près ou de loin. En fait, un de mes souhaits les plus sincères est qu’on réserve une place de choix à l’enseignement de la littérature de façon équitable dans tous les établissements de niveau secondaire de la province.
Néanmoins, je demeure réaliste quant à la portée d’un discours on ne peut plus utopique sur la découverte des classiques de la littérature. Bien qu’amoureux des belles-lettres, je suis tout à fait conscient que celles-ci n’insufflent pas automatiquement la sagesse intellectuelle à quiconque en consulte les pages : la connaissance ne garantit pas nécessairement la vertu pour qui lit Colette ou Maupassant. Il nous est tout de même permis d’affirmer que de côtoyer romanciers, dramaturges, essayistes et poètes de la littérature d’ici et d’ailleurs contribue certainement à l’éveil intellectuel et social que l’on souhaite pour notre société actuelle et future.
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