Monsieur Legault, la circulaire génère de la circulation

«Visiblement, au Québec, en 2023, des gens souffrent du portefeuille et, par extension, de la faim», déplore l'auteur.
Photo: Getty Images «Visiblement, au Québec, en 2023, des gens souffrent du portefeuille et, par extension, de la faim», déplore l'auteur.

Jeudi, 17 août, je me suis rendu dans un supermarché, épicerie oblige. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’à 8 h 45, le stationnement était bondé ; il faut dire que la nouvelle circulaire était d’office. À l’intérieur de cette enseigne dite « à rabais », j’ai constaté que la circulaire générait une forte circulation ; ne manquaient que les cônes oranges et on se serait crus sur l’autoroute 20, direction Québec depuis Lévis.

Ainsi, les paniers des uns et des autres se frottaient, les comptoirs de viandes se vidaient à vue d’oeil, les fruits et légumes faisaient l’objet d’un insidieux triage qui n’est pas sans rappeler une pratique discriminatoire qui prévaut dans plusieurs secteurs névralgiques de notre société québécoise.

Me voilà prêt à passer à la caisse. Au loin, je vois des paniers qui s’alignent non pas sur une ligne de départ, mais sur une ligne d’arrivée. Je suis stupéfait de constater à quel point la circulaire a généré de la circulation, et je ne suis pas le seul, puisque les gens se regardent, l’air découragé, médusé, résigné. Les uns et les autres n’ont d’autre choix que de se soumettre à ce pénible exercice à 9 h du matin, faut-il le rappeler.

Et voilà que la tension monte : une dame âgée, rongée par l’impatience, passe un commentaire indélicat à un homme de sa génération, car celui-ci fait du surplace, un peu comme la voiture de devant qui reste au neutre quand le feu tombe au vert. Le monsieur, visiblement contrarié, réagit de facto et la dame, piquée au vif, réplique : « Regardez la file derrière. » Et le monsieur de rétorquer : « Moi, je regarde en avant… » À sa façon, chacun avait sans doute raison, car nous sommes tous mis dans le « même panier », celui d’une attente interminable. Bien triste scénario.

Pour passer le temps et se donner un peu de moral, plusieurs personnes improvisent des conversations, solidarité oblige. Une femme trentenaire me devance dans la file. Je l’interpelle. Elle me dit travailler dans un secteur qui, théoriquement, devrait lui permettre une certaine aisance. « Je travaille en santé. » Et de poursuivre : « Je suis monoparentale et je me prive pour donner des aliments de qualité à mon fils. » Pathétique.

Une fois à la caisse, je questionne : « Est-ce un jeudi matin standard, est-ce la norme de voir tant de gens en début de journée ? » Et la gentille caissière de répondre : « Non, c’est très inhabituel. C’est à cause des spéciaux dans la circulaire de cette semaine. Les gens font vite pour ne pas se retrouver devant des tablettes vides. » Des restes de pandémie ?

Visiblement, au Québec, en 2023, des gens souffrent du portefeuille et, par extension, de la faim. Inimaginable. Je crois que monsieur Legault méconnaît cette réalité qui laisse bien de ses compatriotes dans des situations de grande vulnérabilité. Au fait, monsieur Legault fait-il lui-même son épicerie ? Monsieur Legault attend-il dans les salles d’urgence ? Monsieur Legault paie-t-il son plein d’essence ? Monsieur Legault se trouve-t-il quotidiennement pris dans d’immenses bouchons de circulation ? Monsieur Legault cherche-t-il un appartement à prix modique ?

Vous et moi connaissons la réponse : elle se traduit par un mot de trois lettres qui donne sur une négation. En cette période trouble où le coût de la vie continue de ravager le pouvoir d’achat autant que l’humeur des Québécois, je suis surpris du mutisme de notre premier ministre, qui se prétend être : « votre gouvernement », c’est-à-dire notre gouvernement.

Monsieur Legault, votre peuple souffre. À défaut de le voir, cherchez du moins à l’entendre…

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