La réforme Drainville est-elle celle dont les directions d’école ont besoin?

Le projet de loi 23 vise, selon le ministre de l’Éducation, à « améliorer le système pour que l’éducation s’améliore ». Cette réforme poursuit l’implantation de la gestion axée sur les résultats en éducation à partir, principalement, des résultats scolaires des élèves. Plusieurs recherches ont montré les revers de ce mode de gestion, notamment sur la charge de travail des directions et directions adjointes d’établissement d’enseignement et leur rétention en poste.
Le projet de loi prévoit l’implantation de nouveaux dispositifs (« système de dépôt et de communication de renseignements » et « modes de contrôle, de supervision ou d’évaluation » des obligations de formation continue du personnel enseignant) qui risquent d’alourdir davantage la tâche administrative du personnel de direction (collecte, analyse, transmission de données), au détriment des responsabilités pédagogiques. Cette situation est préoccupante, alors qu’au Québec, 15 % d’entre eux pensent à quitter leur emploi et 12 % prévoient de chercher un autre emploi dans l’année en raison, notamment, des conditions de travail difficiles (GRIDE, 2023).
Le projet de loi 23 concentrera davantage de pouvoir décisionnel entre les mains du ministre de l’Éducation, tandis que d’autres personnes seront tenues de lui rendre des comptes. Il sera inscrit dans la Loi sur l’instruction publique : 1) que les directions et directions adjointes d’école seront nommées par la direction générale de leur centre de services scolaire (CSS), elle-même nommée par le gouvernement sur recommandation du ministre, 2) que les directions seront tenues d’exercer « toute autre fonction » déterminée par la direction générale, alors même que, en haut du sommet hiérarchique, le ministre de l’Éducation aura le pouvoir d’annuler toute décision du CSS qui ne serait pas conforme aux cibles, objectifs, orientations et directives qu’il a établis.
Le projet de loi risque d’accroître la proportion d’équipes de direction rapportant recevoir trop de demandes du ministère de l’Éducation (de 61 % en 2019 à 66 % en 2023) et être préoccupées par l’augmentation des pouvoirs octroyés au ministre lors de la précédente réforme en 2020 (57 %) (GRIDE, 2023).
Le ministre aura également un droit de regard sur les sujets prioritaires qui bénéficieront des travaux du nouvel Institut national d’excellence en éducation, en concertation avec « des intervenants du système scolaire ». On ignore le poids du ministre dans le choix des priorités et qui sera consulté. Combinée à l’élimination des contre-pouvoirs en éducation, la surreprésentation des universitaires ayant pris la parole publiquement en faveur du projet de loi aux consultations et auditions publiques sur le projet de loi soulève des préoccupations sur l’état de la démocratie scolaire.
La concentration des pouvoirs va à contresens des recherches ayant démontré que l’amélioration du fonctionnement des écoles dépend, dans une large mesure, de la capacité des directions à mettre en oeuvre une communauté où les membres peuvent influencer la prise de décision. Le changement et la transformation durable viennent des personnes expertes sur le terrain.
En laissant entendre que les savoirs nécessaires pour améliorer le système d’éducation émanent de personnes éloignées du milieu scolaire, le ministre accentue le manque de reconnaissance et de confiance déjà criant à l’égard des personnels scolaires et de direction.
En se centrant sur l’universalisation de certaines pratiques, sans les contextualiser aux diverses réalités scolaires, le projet de loi porte atteinte à leur autonomie, à leur libre arbitre et à leur jugement professionnel. Il limite d’autant plus leur capacité à répondre, de manière réactive, précise et innovante, aux besoins de leur milieu et de tous les élèves en vue d’assurer la qualité des services éducatifs.
Dans l’état actuel du système d’éducation, est-ce vraiment la réforme dont nous avons besoin, et dont les directions d’école ont besoin, pour que l’éducation au Québec s’améliore ?
* Ont aussi signé cette lettre :
Jean Bernatchez, professeur titulaire, Université du Québec à Rimouski
Olivier Lemieux, professeur adjoint, Université du Québec à Rimouski
Caroline Letor, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Karyne Gamelin, professeure adjointe, Université de Sherbrooke
Emmanuel Poirel, professeur agrégé, Université de Montréal
André Villeneuve, professeur régulier, Université du Québec à Trois-Rivières
Luc Jourdenais, chargé de cours, Université de Montréal, ancien directeur de polyvalente
David D’Arrisso, professeur agrégé, Université de Montréal
Suzanne Guillemette, professeure titulaire, Université de Sherbrooke
Mélissa Villella, professeure adjointe et directrice du DESS en gestion d’établissement d’enseignement, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Catherine Larouche, professeure titulaire, Université du Québec à Chicoutimi
Roula Hadchiti, professeure adjointe, Université du Québec en Outaouais
Denise Bergeron, professeure enseignante, Université du Québec à Montréal
Lise-Anne St-Vincent, professeure titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières
Jocelyne Chevrier, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Lyne Martel, professeure adjointe, Université de Montréal
Maryse Potvin, professeure titulaire, Université du Québec à Montréal
Michel Boyer, professeur titulaire associé, Université de Sherbrooke
Anastasie Amboulé Abath, professeure, Université du Québec à Chicoutimi
Françoise Armand, professeure titulaire, Université de Montréal
Pierre Toussaint, professeur associé, Université du Québec à Montréal
Emmanuelle Doré, professeure adjointe, Université de Sherbrooke
Emmanuel Martin-Jean, Université du Québec à Trois-Rivières
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