Le ministre doit mettre fin à ses affrontements avec la magistrature

Nous avons tous poussé un soupir de soulagement à l’annonce d’une entente entre le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, le 21 avril dernier. En effet, les dernières années ont été tendues et difficiles sur plusieurs fronts en matière de justice. Plusieurs litiges entre le ministère et la magistrature ont accaparé trop de ressources et d’attention, et ceci a malheureusement généré une bien mauvaise presse pour le système judiciaire.
Dans ce contexte, le dépôt du projet de loi 26, qui vise à assujettir le Conseil de la magistrature aux crédits budgétaires du ministère de la Justice, et donc à en contrôler le budget, et évidemment la levée de boucliers qui s’est ensuivie, tant du Conseil lui-même que de plusieurs journalistes, de même que du Barreau du Québec, n’est pas de nature à nous rassurer. En fait, il semble que ce nouvel affrontement annoncé devrait pouvoir être évité.
Soulignons que plusieurs ont soulevé des inquiétudes quant à la capacité du Conseil de conserver les moyens de préserver son indépendance, et notamment donc de contester des réformes qu’il jugerait problématiques. Rappelons de plus qu’une partie importante de ces litiges se sont soldés en faveur des arguments présentés par le Conseil, démontrant ainsi toute la pertinence et la justesse de telles interventions. Tout cela mérite certainement qu’on s’inquiète d’une réforme législative qui viendrait contrecarrer ces moyens dans l’avenir.
N’est pas sans valeur l’argument qu’une reddition de comptes est utile et nécessaire pour tous les organismes de l’État. C’est pour cette raison que de nouveaux pouvoirs furent octroyés à la vérificatrice générale du Québec en mars dernier, afin d’effectuer un contrôle annuel des budgets du Conseil de la magistrature. Il nous semble qu’il serait plus judicieux de permettre à un tel mécanisme de faire ses preuves avant d’aller plus loin, notamment devant les questions d’indépendance judiciaire que soulève le projet de loi 26.
Le système de justice vit actuellement des moments difficiles, personne ne peut le nier. Les délais s’allongent, les causes se complexifient, la pénurie de main-d’oeuvre frappe très fort, l’accès à la justice et la confiance du public s’érodent. Mettons toute notre énergie à réparer le système, travaillons ensemble et évitons de relancer un nouveau conflit qui s’étirerait sur des années. Nous avons tant à faire, attelons-nous-y sans délai.
* Ont cosigné cette lettre :
Martine Valois, professeure (Faculté de droit de l’Université de Montréal)
Pierre Trudel, professeur (Faculté de droit de l’Université de Montréal)
Jean-Frédéric Ménard, professeur (Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke)
Rachel Chagnon, professeure (Faculté de sciences politiques et de droit de l’Université du Québec à Montréal)
Lucie Lamarche, professeure (Faculté de sciences politiques et de droit de l’Université du Québec à Montréal)
Rémi Bachand, professeur (Faculté de sciences politiques et de droit de l’Université du Québec à Montréal)
Robert Leckey, professeur (Faculté de droit de l’Université McGill)
François Crépeau, professeur (Faculté de droit de l’Université McGill)
Fabien Gélinas, professeur (Faculté de droit de l’Université McGill)
Hélène Mayrand, professeure (Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke)
Elizabeth Ménard, présidente de l’Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil
Frédéric Bérard, docteur en droit
Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole en matière de justice pour Québec solidaire