Vous avez raison, Mme Lanctôt, l’hôpital est devenu un vrai bordel!

D’abord, je veux vous offrir mes sympathies, Mme Lanctôt, je ressens la tristesse de votre deuil encore récent en lisant votre lettre dans Le Devoir. J’entends aussi le désarroi que vous avez éprouvé en traversant notre fabuleux système de santé et cela m’interpelle pour toutes sortes de raisons.
Tous ceux et celles qui ont eu à traverser les couloirs d’un hôpital récemment ont sans doute une histoire à raconter. Pour le dire simplement, l’hôpital, c’est rendu un vrai bordel.
Je tiens à dire, par contre, que je sais que j’ai de bons collègues, que moi ou ma famille recevons aussi de bons soins, aux bons moments, par de bons professionnels et que plusieurs sont même exemplaires. Mais je sais aussi que le contraire est tout aussi présent et que c’est à n’y rien comprendre.
Je suis infirmière et j’ai sans doute moi aussi parlé trop fort et choqué des patients dans des corridors d’hôpital. Je m’en excuse. Des fois, on exagère, c’est vrai. Mais ça ne devrait pas arriver.
J’ai récemment dû être hospitalisée dans un couloir d’urgence, sur une civière, parce qu’il n’y avait pas de chambre disponible. À un certain moment, une préposée a décidé de déplacer ma civière plus loin dans un autre couloir parce que, m’a-t-elle dit, je pouvais encore me tenir debout, moi. Elle a tellement soupiré souvent en me regardant et m’a tellement lancé d’airs bêtes pour me faire comprendre que je n’avais pas ma place ici que je ne suis pas près de l’oublier.
J’ai stressé pendant une heure de peur qu’on m’oublie pour mon scan. Heureusement, le médecin m’a fait revenir à ma place devant le poste, car ma situation exigeait que l’on garde un oeil sur moi à ce stade.
Dormir dans un couloir passant et éclairé aux néons n’est déjà pas facile […] encore moins quand derrière le poste de triage, le personnel parle si fort, et ce, pendant des heures, qu’il en devient impossible de s’assoupir. Je n’arrivais pas à dormir, même malade comme un chien, parce que le personnel avait trop de fun à jaser à deux heures du matin sans se dire que, nous autres, on aimerait peut-être un peu de silence ? Je n’en revenais pas.
Les ambulances qui arrivent une après l’autre, pas de place dans les couloirs, un médecin pour tous les patients la nuit. Et les toilettes. Horribles. […] Si mon infirmière avait vu sur quel plancher sale mon soluté avait traîné, elle aurait sans doute désinfecté ma tubulure avant de connecter mon antibiotique. Je me suis dit : ben coudonc, au moins je suis sur antibiotique, en espérant que ça couvre l’E. coli.
Je suis encore jeune, mais tous les autres patients autour de moi avaient dans les soixante-dix ans, je me disais, mais comment ils sont supposés faire pour récupérer, pour guérir, dans un corridor comme ça, à côté de la porte, dans le froid et dans le bruit ?
Mon père a eu un cancer, lui aussi, et il en est décédé, heureusement, quelques mois avant la pandémie. Ça nous aura évité, à mon frère et à moi, de nous faire arrêter pour être entrés par effraction dans un hôpital. J’ai essayé un jour de dire à l’infirmière que ça n’allait pas bien et qu’il faudrait lui faire un scan avant son traitement de radiothérapie. J’ai eu l’impression de parler dans du beurre. J’ai insisté en disant que j’étais infirmière. Sans résultat. En quelques jours, son état s’est détérioré au point où il a fini en ambulance parce que la radiothérapie agressive lui avait perforé l’intestin et c’est pour ça qu’il souffrait autant. Deux semaines plus tard, il est mort.
Une autre fois, j’ai eu un abcès sur une amygdale. L’infirmière au triage n’avait pas vraiment d’expérience et m’a renvoyée avec un rendez-vous pour le lendemain dans une clinique pour une pharyngite. Un médecin m’a donné des comprimés même si je lui disais que je peinais à ouvrir la bouche et que je pensais que j’avais un abcès à drainer. Il a fallu que je le ponctionne moi-même deux jours plus tard, avec une seringue et une aiguille, et que je retourne à l’hôpital avec mon pus dans un petit contenant et que je me fâche pour que, finalement, on me fasse voir un médecin qui comprenne la situation.
Je me suis dit : qu’est-ce qu’il va falloir que je fasse pour qu’on m’écoute ? Que je menace de porter plainte ? Que je me fâche ? Je me demande aussi, pourquoi mes propres confrères et consoeurs ne sont-ils pas plus solidaires ? Pourquoi le réseau est-il si inhumain ? Je suis infirmière, mais quand je passe de l’autre bord, j’ai plutôt l’impression qu’on se fait juger avant de se faire soigner.
J’aurais plein d’autres exemples et de situations à raconter. Mais je veux le redire, ce n’est pas tout le monde qui agit de la sorte, j’ai des collègues extraordinaires, infirmières et médecins, qui donnent des soins de haute qualité. Mais il y a un non-sens si omniprésent dans notre système de santé en ce moment que c’est à n’y rien comprendre : on a un sérieux problème de qualité des soins.
La rigueur dans nos soins, le respect des patients et des soins de qualités devraient être prioritaires. Mais quand les hôpitaux sont rendus à faire des culottes d’incontinences avec des taies d’oreiller ou à suspendre une infirmière parce qu’elle a « volé » un toast au beurre de peanuts dans le cabaret d’un patient, c’est signe que rien ne va plus. Ça fait des années que médecins, infirmières, préposées et tous les autres quarts de métiers associés aux soins essaient de se faire entendre auprès du gouvernement. Mais c’est de pis en pis.
Je voulais vous écrire, Mme Lanctôt, car je voulais vous dire que non, ça n’a aucun bon sens qu’il faille se battre de la sorte pour recevoir des soins. Je vous l’écris aussi parce que ça me soulage de pouvoir me dire à moi-même : ben non, je ne suis pas folle, je n’hallucine pas, le système est complètement détraqué. Et je suis sincèrement désolée que vous et votre conjoint ayez eu à traverser de telles épreuves dans ces conditions.