Que peut-on encore espérer pour le Domaine-de-l’Estérel?

Le 13 mai 2022 était rasé le Centre commercial du Domaine-de-l’Estérel, immeuble patrimonial classé, dernier vestige d’importance de la cité de villégiature construite entre 1936 et 1938 sur la rive de la baie du Désespoir, dans les Laurentides. La scène du délit a peu changé depuis. Les gravats du bâtiment s’amoncellent toujours sur le site adjacent à la plage municipale et à proximité de plusieurs résidences. Un tel statu quo interpelle.
Le 17 septembre 2022, à la veille des élections provinciales, en collaboration avec Action patrimoine et la Société d’histoire de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et d’Estérel, Docomomo Québec organisa une journée d’échange et de réflexion afin que le dossier ne tombe pas dans l’oubli. Un an plus tard, que penser, que souhaiter, qu’exiger, qu’espérer ?
Après la visite du site, en septembre, une centaine de citoyens et plusieurs organismes se réunirent dans la salle du conseil de l’hôtel de ville de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson afin de répondre à la question : faut-il reconstruire le Centre commercial du Domaine-de-l’Estérel ? Dans Le Devoir, le 11 août dernier, nous nous étions interrogées sur la légitimité d’une telle intervention.
Quoi qu’il en soit, un large consensus en faveur de la reconstruction patrimoniale se dégagea de la rencontre, un souhait partagé par les autorités municipales. Le 11 octobre 2022, le Conseil de la MRC des Pays-d’en-Haut vota à l’unanimité deux résolutions : la première demande au propriétaire de l’ancien Centre commercial, la société Olymbec, de procéder à la reconstruction patrimoniale du bâtiment démoli illégalement, et au ministère de la Culture et des Communications de prendre les moyens nécessaires pour assurer celle-ci ; la seconde signifie au gouvernement le maintien de la candidature de l’ancien Centre commercial comme Espace bleu des Laurentides. De plus, le Conseil mandatait le préfet de faire les démarches politiques nécessaires dans ce dossier.
Depuis lors, le préfet, les maires de Sainte-Marguerite et d’Estérel et un représentant de la Société d’histoire rencontrèrent la députée de Bertrand, France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation dans le gouvernement du Québec. La rencontre sollicitée auprès du ministre de la Culture et des Communications serait en attente de la fin de l’enquête ouverte pour établir les responsabilités dans ce cas de violation de la Loi sur le patrimoine culturel, enquête qui se poursuit. Le 29 mars, le ministère annonça que des perquisitions étaient menées en lien avec les événements entourant la démolition de l’immeuble patrimonial, une « action surprenante », car sans précédent, comme le soulignait Jean-François Nadeau dans Le Devoir.
Le cas du Centre commercial est exceptionnel, non pas vu la perte que représente sa démolition. Ce n’est pas le premier immeuble patrimonial à être détruit. Cependant, à notre connaissance, au Québec, c’est le premier dont la reconstruction patrimoniale est demandée par les citoyens et les autorités locales. Rappelons que telle est l’intention du propriétaire, selon le communiqué publié par Olymbec.
Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson avait un patrimoine moderne unique vu son envergure et ses valeurs historique, architecturale et paysagère issues de l’ambitieuse entreprise du baron belge Louis Empain. En moins de trois ans, en collaboration avec les architectes Antoine Courtens et Louis Nicolas, et grâce au recrutement d’environ 700 travailleurs, le domaine avait été aménagé.
Ses éléments majeurs, vu leur fonction collective et leur présence monumentale, ont tous, un à un, disparu : vers 1960, le Sporting Club du lac Dupuis fut modifié pour devenir l’hôtel L’Estérel. Par la suite, malgré les nombreuses actions menées par les associations en faveur de cet héritage, en 2012, l’hôtel de la Pointe-Bleue, qui abritait un CHSLD, fut détruit et, désaffecté, le Ski Lodge en bois rond passa inopinément au feu ; en 2022, son voisin, le Centre commercial, fut rasé.
Doit-on se satisfaire d’un tel effacement ? Faut-il attendre le dénouement juridique du dossier pour explorer les possibilités de reconstruction patrimoniale du Centre commercial ? Étant donné la situation inédite, le ministère de la Culture et des Communications ne devrait-il pas prendre les devants et poursuivre la réflexion amorcée en septembre 2022, avec la collaboration des personnes et des organismes qui l’ont lancée ?