L’aveuglement proclamé du ministre Drainville

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, lors du dépôt du projet de loi 23, le 4 mai dernier.
Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, lors du dépôt du projet de loi 23, le 4 mai dernier.

Les inepties avancées par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, révulsent. En particulier au moment même où il impose unilatéralement sa réforme « Barrette » dans le monde scolaire. Une réforme préparée en catimini, sans débat public, et qui vise, entre autres, à museler le milieu scolaire.

Un premier pas a été accompli avec l’élimination de la décentralisation scolaire. Pendant la pandémie, quels conseils scolaires ont déploré publiquement les problèmes d’aération des classes et incité le ministère de l’Éducation à faire plus et mieux ? Le ministre prend le contrôle du système scolaire en annonçant que son principal problème systémique (l’école à trois vitesses) n’existe pas. Et il s’assure que celles et ceux qui allèguent un système scolaire inéquitable, comme l’avait fait, en 2016, le Conseil supérieur de l’Éducation, se tairont : il abolit le Conseil, il suffisait d’y penser !

Le ministre semble devenu un émule de feu Camil Samson avec son « Le Québec est au bord du précipice [scolaire], faisons un pas en avant ! »…

Par ailleurs, on comprend la priorité annoncée à la « gestion de classe ». C’est souvent le dernier recours conseillé aux enseignants qui se retrouvent débordés, en classe ordinaire.

On lit : « Le ministre voit les d.g. comme des acteurs visant à “opérationnaliser” les orientations du ministère. » En fait, il y a méprise, on signifie sûrement « les orientations du ministre ». Le terme « acteur » semble cependant approprié.

Si on regarde rétrospectivement le système scolaire du Québec, on constate que les inégalités ont diminué, mais que l’iniquité scolaire a perduré. Depuis quelques années, avec l’expansion des voies ségréguées, le système amplifie les iniquités. J’ai personnellement fait l’expérience de l’école publique en milieu défavorisé pendant les sept années du cours primaire à Pointe-Saint-Charles, dans les années 1950. Et quand nous avons inscrit nos trois enfants dans des programmes sans sélection dans les écoles publiques de Montréal, mon épouse et moi avons saisi à quel point les parents devaient s’investir pour soutenir et pour stimuler les enfants.

Encore récemment, une de nos petites-filles a voulu, en deuxième année (sic), « ne plus aller à l’école » en raison du chahut qui régnait dans sa classe. Elle était à l’école primaire publique. Ses parents l’ont finalement inscrite à l’école privée, sélective, coûteuse et grassement subventionnée par le gouvernement. Notre petite-fille est maintenant au secondaire avec d’autres élèves avides d’apprendre, encore dans une école privée qui offre un programme particulièrement stimulant et des activités et des ressources inimaginables dans les voies « régulières ».

Formation accrue en « gestion de classe » pour les enseignants qui se dévouent et s’épuisent en classe ordinaire ? Bien sûr ! Cependant, la source majeure des problèmes n’est pas la gestion, mais les effets systémiques d’une structure élitiste. Monsieur le ministre ne peut-il pas constater que les voies privilégiées (à l’école privée comme à l’école publique) ont pour effet d’abaisser le niveau d’enseignement pour les jeunes qui restent à l’école ordinaire ?

Et c’est le cas de nos six petits-enfants dont les parents peuvent se payer des écoles privées qui avantagent nettement un avenir professionnel avantageux pour les enfants. Les statistiques le confirment. « C’est un biais idéologique » ou plutôt « un biais conceptuel », affirme plutôt le ministre.

Pour combler son ignorance, le ministre et son état-major ne gagneraient-ils pas à lire Les héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en se demandant si certains constats ne s’appliquent pas au Québec ? Ou encore le rapport Parent.

Le premier ministre du Québec a annoncé que l’éducation était sa priorité et il l’a réitéré. Il est attristant de constater que la priorité « éducation » subit un sort analogue au troisième lien.

Des dizaines de milliers d’enfants continuent à faire les frais de l’aveuglement proclamé et de l’inaction annoncée du ministre de l’Éducation. Quand le ministre se montre publiquement inapte, qui sera en position de s’attaquer aux inégalités ?

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