Le char, le système et l’individu

« Quelle que soit la cause de la congestion, chacun se doit de ne pas contribuer à rendre des milieux de vie… invivables », conclut l’auteur.
Jacques Nadeau archives Le Devoir « Quelle que soit la cause de la congestion, chacun se doit de ne pas contribuer à rendre des milieux de vie… invivables », conclut l’auteur.

Récemment, le hasard de mes rendez-vous a voulu que je traverse Montréal à vélo par un de ces glorieux après-midi de printemps où le soleil et la nature renaissante semblent tendre la main à tout un chacun. Dans les parcs, les jeunes enfants jouaient gaiement sous le regard bienveillant de leurs parents. Dans les rues, les moins jeunes enfants riaient des blagues qu’ils se racontaient ou des plus ou moins mauvais coups qu’ils préparaient, et les adultes de tous âges bavardaient sur les trottoirs, sur leur terrain ou profitaient simplement des rayons du soleil depuis leur balcon. Partout, des humains avides de profiter de cette fenêtre de la générosité vernale… sauf dans les rues où le trafic enflait à vue d’oeil.

Ici, moins de badauds profitant de leur balcon ou s’attardant à discuter avec un voisin. Ici, surtout, des conducteurs captifs laissant aller bruyamment leur frustration : klaxons insistants, invectives dirigées vers d’autres conducteurs ou simplement vers une destinée revêche. Même sans le son, la frustration est palpable : accélérations précipitées, coups de frein brusques, queues de poisson agressives.

S’il était possible de cartographier l’humeur de la population en temps réel, nous aurions vu à ce moment un vert guilleret recouvrir le plan de Montréal, quadrillé toutefois par des lignes rouge colère : autant d’artères et d’autoroutes congestionnées ou de rues en travaux.

Tandis que je pédalais, en essayant d’éviter certaines rues inhospitalières, j’ai soudainement été frappé par ce constat : comment, à une époque où des machines peuvent crédiblement imiter des discussions humaines, continuons-nous d’accepter de rendre une partie de nos villes aussi accueillantes que la surface de Vénus, au service d’une modalité de transport qui nous rend misérables et qui fait ressortir le plus mauvais de nous ?

Car, entendons-nous bien, à mes yeux, les conducteurs ainsi piégés sont des victimes au même titre que les résidents des quartiers devant subir le bruit, l’agression et la pollution des files de voitures à l’arrêt. Du moins, quand ma conjointe ou moi devons conduire, nous nous sentons victimes. Victime, certes en partie consentante, d’un système de mobilité qui a fait la part trop belle à la voiture et n’offre que peu de solutions de rechange pour des déplacements qui nécessitent une charge utile de plusieurs centaines de kilogrammes.

La voiture individuelle est un système de transport qui, par son succès, produit les conditions de sa faillite, au détriment des résidents des quartiers, mais aussi de ceux qui en ont réellement besoin : soins d’urgence, déplacement de marchandise ou de matériel, etc. Pour le bien de tous, ce système doit changer ; c’est un changement que nous ne pouvons faire individuellement, mais collectivement. Et dans cette démarche collective, nous avons deux responsabilités individuelles.

La première responsabilité est de reconnaître l’inacceptable empreinte des voitures dans nos villes et les mesures nécessaires pour changer cela, même si cela entraîne des désagréments, comme de voir les périodes de stationnement tarifé étendues, comme on l’a vu récemment. La seconde responsabilité, c’est qu’en attendant que les choses changent, le comportement au volant est un acte personnel.

Même si chacun, piéton et cycliste inclus, doit être attentif dans la rue, le danger et la capacité de désagrément des voitures sont sans commune mesure. Quelle que soit la cause de la congestion, chacun se doit de ne pas contribuer à rendre des milieux de vie… invivables.

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