Quand les idéologies participent aux débats sur la langue

« Qu’on le veuille ou non, la langue évolue, et certains des éléments qui la constituent vieillissent et finissent, avec le temps et les usages, par tomber en désuétude », observe l’autrice.
iStock « Qu’on le veuille ou non, la langue évolue, et certains des éléments qui la constituent vieillissent et finissent, avec le temps et les usages, par tomber en désuétude », observe l’autrice.

Dans les dernières semaines, la question de la réforme des participes passés a fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs personnes se sont exprimées dans l’espace public, souvent pour dénoncer cette entreprise. Ce qu’on peut tirer de ce tourbillon médiatique, c’est que la majorité des arguments en défaveur de telles réformes témoignent soit d’une mécompréhension des mécanismes réels de la langue, soit d’un certain « purisme » qui prône le maintien d’un français qui ne reflète plus l’usage du locutorat. […]

Qu’on le veuille ou non, la langue évolue, et certains des éléments qui la constituent vieillissent et finissent, avec le temps et les usages, par tomber en désuétude. On le voit sur le plan lexical, avec des mots comme varlope, terme devenu très rare dans l’usage (les mots ne vieillissent pas au même rythme partout, diachylon est vieilli en France, mais toujours utilisé au Québec). Ce même phénomène s’applique à l’orthographe grammaticale, où des règles comme celles du participe passé ont déjà vécu nombre de changements dans l’histoire pour en arriver aux règles actuelles. Molière, par exemple, dont le nom est associé à la langue française, n’accordait pas ses participes passés conformément aux règles d’aujourd’hui.

Ainsi, il n’est pas chose nouvelle de vouloir adapter l’orthographe à l’évolution naturelle de la langue. Ces changements, contrairement à la pensée populaire, ne constituent des attaques ni à la langue elle-même, ni à son patrimoine historique, ni à sa valeur identitaire. Les gens sont attachés à l’orthographe du français parce qu’ils y voient un symbole. Mais personne ne remet l’importance de la langue en question. Une réforme orthographique est à la langue ce qu’un changement de fenêtre est à une maison : un simple entretien, voire une mise à jour. Pourtant, dans ce genre de débat où l’émotion prend le dessus, on semble perdre toute réflexion critique.

Nivellement par le bas

L’argument vedette du nivellement par le bas est purement rhétorique. Toutes les réformes ont pour objectif d’améliorer le système auquel elles s’appliquent. Jamais on ne réformerait quelque chose pour le rendre plus complexe ou inefficace. On crie au génie quand on trouve des moyens plus adéquats et modernes de gérer notre réseau électrique, mais lorsqu’il est question d’éducation, cet argument mène à l’impasse. Impossible d’améliorer quoi que ce soit sans se faire accuser de lâcheté ou d’incompétence. Toute piste d’amélioration est systématiquement reçue, à tort, comme un abaissement.

Or, dans le dossier des participes passés, il importe de réitérer un point capital : nous ne croyons pas que nos élèves sont incapables d’apprendre les règles. Nous croyons que nos élèves méritent que chaque seconde passée en classe soit mieux investie. Passer un temps fou à enseigner ces règles, aussi factices que dépassées, ne leur rend pas service. Ainsi, il n’est pas question d’abaisser les seuils d’exigence, au contraire. Il n’a jamais été question de baisser le niveau, mais de mettre à niveau.

On se rend compte que, finalement, le fond du débat est purement idéologique et basé sur la perception de la langue et de ses fonctions. Comme les idéologies sont ancrées dans un système de valeurs et de croyances, il est difficile de les négocier dans un débat. C’est ce qu’on a pu constater face à cette réforme.

Comme tout système de croyances, personne ne peut retirer le droit à quiconque de penser qu’une langue est plus belle parce qu’elle est complexe, figée, stable et pure.

Or, les linguistes sont unanimes, tel n’est pas le véritable fonctionnement des langues : elles évoluent, elles divergent, elles empruntent et, plus important encore, elles vivent, et ce, grâce aux personnes qui la parlent. En tant que spécialistes et professionnels, nous avons la responsabilité à l’égard de nos élèves de nous appuyer sur la recherche scientifique et sur des faits pour adopter les meilleures pratiques pédagogiques possible, pas sur des croyances.

La réelle menace pour la langue française, ce n’est pas une simple réforme orthographique, c’est le discours qui circule selon lequel une personne doit souffrir pour, peut-être, en arriver à être à la hauteur de sa propre langue.

Une langue pourrait être la plus pittoresque, la plus complexe, la plus noble, mais si elle doit être confinée dans les livres d’histoire, ce n’est pas de cette langue-là que nous avons besoin.

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