Mon fils intimide-t-il le vôtre?

Avec de simples gestes, chaque personne peut devenir « une étoile » pour faire changer les choses et ainsi contribuer au projet collectif de développer le plein potentiel de notre jeunesse, estime l'auteure.
Photo: IStock Avec de simples gestes, chaque personne peut devenir « une étoile » pour faire changer les choses et ainsi contribuer au projet collectif de développer le plein potentiel de notre jeunesse, estime l'auteure.

« Maman, si j’étais né dans une autre famille, je crois que je serais à l’orphelinat. » Les yeux embués, je serre tendrement mon adolescent autiste de 13 ans. Je lui réponds tout simplement « Je t’aime ; je suis là ».

J’aurais le goût de lui répondre : « Possiblement que tu serais dans une famille d’accueil, une résidence ou un foyer… Pas parce que je suis une meilleure mère que les autres, mais parce que tu as la “chance” d’avoir une mère ergothérapeute, qui, bien avant ta naissance, était passionnée par le fait d’aider des enfants comme toi. Pour nous venir en aide, j’ai le privilège de détenir les connaissances pour naviguer dans cet univers complexe des troubles neuro-développementaux. Malgré ces avantages, j’ai tout de même de la difficulté à maintenir ma tête hors de l’eau. »

Les défis de mon garçon se manifestent principalement sous forme de comportements inadéquats par rapport aux normes sociales attendues. Avec ses grandes capacités intellectuelles, il a l’air « normal », mais son cerveau fonctionne différemment. Les difficultés comportementales attirent peu l’empathie. Alors que nous aurions besoin d’un soutien collectif pour traverser notre épreuve, nous faisons plus face à des jugements hâtifs et blessants.

Nous avons vécu et nous vivrons des moments de grande vulnérabilité. Le plus récent est un pénible sentiment d’exclusion sociale par l’expulsion de mon garçon de son école secondaire de quartier qu’il aimait tant. Ses déficits sociaux, qui ont toujours été nommés et expliqués, pour lesquels nous avions convenu qu’un soutien serait apporté par les adultes autour de lui, ont été dénoncés brutalement en gestes d’intimidation. Alors que nous travaillons sans relâche, depuis son très jeune âge, à développer ses habiletés sociales selon les attentes de son environnement, nous voilà subitement classés dans le clan des « méchants intimidateurs ».

Bien sûr, je ne suis pas insensible aux jeunes affectés par les comportements de mon enfant. Je suis bien placée pour observer qu’il n’est pas un « ange ». Je suis d’ailleurs de celles qui encouragent les actions pour remédier aux situations d’intimidation. Par contre, je deviens particulièrement préoccupée par des analyses hâtives peu nuancées d’« intimidé » et d’« intimidateur » menant à des situations d’exclusion sociale plutôt que d’y voir des occasions d’apprendre à notre jeunesse à « vivre ensemble ».

Lorsque mon cadet se sent victime des comportements de son grand frère, je lui enseigne les options pour apprendre à « vivre ensemble » : exprimer son inconfort verbalement, s’affirmer fermement, ignorer, démontrer l’exemple des comportements souhaités ou demander le soutien d’un adulte pour intervenir. Souvent, j’en profite pour lui enseigner la gratitude. Je lui montre à remercier la vie d’avoir tout ce qu’il a et de redonner en aidant son prochain, puisqu’un jour ou l’autre, il aura aussi besoin des autres. Au-delà des succès individuels, je lui fais prendre conscience des autres sources potentielles de bonheur à travers l’altruisme, la solidarité et l’empathie. L’option d’exclure son frère de notre famille n’est humainement pas envisageable.

Sur notre parcours de vie, je croise des personnes exceptionnelles qui font généreusement des gestes d’entraide envers mon enfant et notre famille. Que ce soit, un voisin, une coiffeuse, un ami, un animateur en loisir ou une enseignante, je les appelle « nos étoiles ». Ils choisissent de mettre de côté leurs préjugés et de guider mon garçon pour qu’il devienne un futur citoyen accompli qui contribuera à notre société. Ils comprennent, consciemment ou pas, que, malgré ma grande volonté de mère aimante, je ne peux y arriver seule. C’est en étant avec les autres que mon enfant s’approprie graduellement les normes sociales attendues tout en pouvant démontrer ses nombreuses forces, parfois cachées.

Avec de simples gestes, chaque personne peut devenir « une étoile » pour faire changer les choses et ainsi contribuer au projet collectif de développer le plein potentiel de notre jeunesse. Un projet qui passe par une compréhension des défis associés aux conditions neuro-développementales, par une ouverture à côtoyer la différence et par un apprentissage mutuel à s’adapter du mieux que l’on peut. Au lieu d’entendre que « mon fils intimide le vôtre », mon profond souhait serait d’affirmer « mon fils a appris avec le vôtre ».

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