Les limites de la médecine du «tamalou»

À la question « Quelle est la capitale du Tamalou? », une blague un peu facile propose la réponse suivante : « Bobola ».
Au Canada, de la perspective du patient, le principe du « tamalou », ou voir le médecin seulement quand on éprouve une douleur ou un inconfort quelconque, semble se généraliser d’est en ouest. Il y a déjà cinq millions de Canadiens qui, par manque de médecin de famille, n’ont plus la possibilité de passer un bilan de santé annuel. Mais le problème est plus profond : depuis une dizaine d’années, le message véhiculé est que l’examen clinique annuel pour les personnes en santé doit être aboli car il n’est pas utile.
Cela étant dit, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (entité créée par l’Agence de la santé publique du Canada) produit une liste de recommandations, dans laquelle des tests et examens périodiques sont évalués selon leur pertinence pour divers types de patients. Entre autres, ces consignes portent sur la prévention des cancers les plus communs. Ou, si l’on pense à des maladies cardiaques ou au diabète, on peut donner un premier signal d’alarme à travers une simple prise de sang. Même si les experts mettent régulièrement à jour les recommandations, il semble y avoir consensus que la prévention est nécessaire et utile (il suffit de regarder le site du Collège des médecins de famille du Canada).
En effet, dans un système de santé où, en principe, chaque citoyen est couvert par l’État (à travers les impôts), réduire le nombre de traitements extrêmement coûteux entraînant des hospitalisations semble la bonne démarche à suivre. Ayant toujours favorisé le préventif par opposition au curatif et étant parvenue à éviter les visites à une urgence d’hôpital, j’assiste, impuissante, à la nouvelle réalité du changement de mentalité : il y a le « tamalou » qui s’installe irrémédiablement. Or, c’est plutôt le contraire qu’on devrait exiger : un système de santé universel axé sur la prévention, où la fréquence des examens médicaux serait modulée selon l’âge et en conformité avec des études scientifiques qui portent sur leur pertinence.
Une constatation amère : malgré ses problèmes et lacunes, le système de santé des États-Unis, toujours vilipendé par nous, fiers Canadiens, offre des services de prévention aux aînés à travers le programme « Medicare ». Cette assurance d’État, payée séparément, couvre à 80 % toute personne âgée de 65 ans et plus (avec possibilité d’aller jusqu’à 100 %). Les soins prévus par « Medicare » comprennent, entre autres, une évaluation annuelle chez un médecin généraliste, ainsi qu’un accès périodique à une batterie d’examens et de tests.
Ainsi, tous les Canadiens qui, au moment de leur vie où ils en ont le plus besoin, se voient privés d’un suivi médical minimal, subissent des attentes interminables en clinique ou à l’hôpital, sont ballottés d’un médecin à un autre sans grande coordination, ont le droit de rêver d’un système qui irait au-delà du « tamalou » et épargnerait des vies et beaucoup de souffrance.