Pour une transition énergétique respectueuse des dernières rivières sauvages

Nous sommes profondément inquiets d’apprendre qu’Hydro-Québec compte lancer des études préliminaires afin d’évaluer le potentiel hydroélectrique de la rivière du Petit Mécatina, sur la Côte-Nord, spécialement à la suite de la diffusion du documentaire Après la Romaine sur les ondes de Radio-Canada, qui met de l’avant le caractère exceptionnel de la rivière Magpie.
Si ce projet se réalisait, 43 % des bassins versants de la Côte-Nord feraient l’objet d’un aménagement hydroélectrique et d’une modification de leur régime hydrologique, ce qui porterait le nombre de centrales au Québec à 174 sur 121 rivières. C’est ce que nous apprenait la commission d’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le projet de la rivière Romaine en 2009.
Il reste peu de grandes rivières intactes comme la Petit Mécatina, la George et la rivière à la Baleine. Lieux d’ancrage ancestral des cultures autochtones, elles sont au cœur d’écosystèmes préservés de l’industrialisation. Votre gouvernement a pris l’engagement de protéger 30 % du territoire d’ici 2030, mais où sont vos engagements à protéger nos dernières grandes rivières qui assurent la santé des écosystèmes terrestres et aquatiques ? Aucune rivière n’a encore obtenu le statut de réserve aquatique, un mécanisme de protection de la biodiversité pourtant annoncé il y a plus de 20 ans.
Par ailleurs, nous avons été surpris d’apprendre que la Commission politique de la Coalition avenir Québec (CAQ) présente la construction de nouvelles centrales hydroélectriques comme une condition essentielle à la réussite de l’électrification du Québec. Rien, à ce jour, ne permet pourtant de faire une telle affirmation. Même Hydro-Québec n’a pas publié d’avis en ce sens.
De surcroît, la CAQ présente l’hydroélectricité comme une énergie propre. On sait toutefois que la filière hydroélectrique a des effets sociaux et environnementaux majeurs. Ces conséquences pourraient d’ailleurs être plus importantes qu’on ne le croit : les impacts cumulatifs de tous les barrages du Québec n’ont jamais été évalués.
La firme Dunsky Énergie + Climat, que votre gouvernement a mandatée pour vous outiller afin d’établir des stratégies vers la carboneutralité du Québec, insiste sur le potentiel de réduction de la consommation énergétique et sur le potentiel éolien. La construction de nouveaux barrages hydroélectriques ne fait pas partie des options privilégiées par cette firme d’experts.
Cet avis est partagé par la grande majorité des spécialistes, dont le directeur de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, le professeur de physique et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau, et les ingénieurs Bernard Saulnier et Réal Reid. De fait, selon ces deux derniers, le Québec pourrait économiser environ 3,2 G$ par année, devenir carboneutre et assurer son autosuffisance énergétique en jumelant la production des filières éolienne et solaire aux capacités de stockage des réservoirs hydrauliques d’Hydro-Québec actuellement en exploitation.
Garder la porte ouverte aux barrages sur des rivières intactes nous maintient dans nos vieilles habitudes. Il y a mieux à faire : votre gouvernement a le devoir de soutenir des politiques publiques permettant de limiter le plus possible la demande d’électricité associée à l’électrification du transport en favorisant la mobilité active et collective, de moderniser les normes de construction et de rénovation pour tendre vers des bâtiments à consommation énergétique nette zéro, d’améliorer l’isolation des bâtiments, d’encourager l’installation d’accumulateurs de chaleur et de thermopompes, de promouvoir la géothermie, de diversifier les sources d’approvisionnement en énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien, d’optimiser les barrages et les parcs éoliens existants. Faisons preuve de vision.
Les choix énergétiques que nous nous apprêtons à faire sont trop importants pour être faits de façon précipitée. Considérant que nous avons déjà artificialisé trop de rivières et que les effets des barrages sont permanents, nous vous invitons à prendre le temps de consulter la société québécoise, y compris les communautés autochtones, tel que vous l’avez promis, par l’intermédiaire d’un vaste débat public.
Dans l’attente d’une réponse sur vos intentions à ce sujet, nous vous prions de recevoir, monsieur le premier ministre, messieurs les ministres Fitzgibbon, Charette et Lafrenière, nos salutations distinguées.
* Ont aussi signé cette lettre :
Richard Rémy, fondateur et guide, KaravaniersEmilie Dubé, chargée de projet, Eau vive Québec
Emmanuel Laferrière, directeur des opérations, Canot kayak Québec
Chantal Levert, coordonnatrice générale, Réseau québécois des groupes écologistes
Irène Dupuis, présidente, Saint-Antoine-de-Tilly – Milieu de vie
Elisabeth Gibeau, coordonnatrice, Front commun pour la transition énergétique
Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau secours
Emmanuelle Rancourt, chargée de projet, Nature Québec
Jean-François Boisvert, président, Coalition climat Montréal
Alex Beaudin, conseiller municipal de Rivière-Saint-Jean et Magpie
Carole Dupuis, porte-parole, Mouvement écocitoyen UNEplanète
Christian Bélisle, administrateur, Les amis de la rivière Kipawa
Jean-Pierre Finet, porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie
Mathieu Bourdon, fondateur, Noryak aventures
Charles Kavanagh, Association Eaux-Vives Minganie
Caroline Desbiens, professeure, Département de géographie, Université Laval
Laurie Guimond, professeure, Département de géographie, Université du Québec à Montréal
Étienne Boucher, Département de géographie, Université du Québec à Montréal
Jani Bellefleur-Kaltush, cinéaste innue
Gabriel Rondeau, résident de Magpie et guide pour Noryak aventures
Geneviève Lalumière, résidente de Magpie et maraîchère à la Coop de solidarité agroforestière de Minganie – Le Grenier boréal