La fondation Trudeau, de l’argent public au service d’une image et d’une idéologie

Si le gouvernement libéral avait vraiment voulu aider les recherches en sciences humaines et sociales en offrant des bourses, il aurait pu simplement ajouter ces 125 millions de dollars au budget du CRSH, note l’auteur.
Olivier Zuida Le Devoir Si le gouvernement libéral avait vraiment voulu aider les recherches en sciences humaines et sociales en offrant des bourses, il aurait pu simplement ajouter ces 125 millions de dollars au budget du CRSH, note l’auteur.

On parle beaucoup, depuis quelques semaines, de la « Fondation Pierre Elliott Trudeau ». Or, de façon générale, une fondation qui porte le nom d’une personne signifie que cette personne ou sa famille a choisi d’investir ses millions de dollars accumulés au cours d’une vie pour les mettre au service d’une cause qui lui tient à cœur.

Aux États-Unis, où ces fondations sont nombreuses, on pense à la Fondation Bill et Melinda Gates ou, plus anciennes, aux fondations Rockefeller ou Carnegie. Au Québec, mentionnons la Fondation familiale Trottier ou encore la Fondation Lucie et André Chagnon. Ces personnes ont en somme choisi de laisser une trace de leur passage sur terre en mettant au service de la communauté une partie ou l’entièreté de leurs avoirs. Cela est tout à leur honneur, on en conviendra.

Or, contrairement à ce qu’on semble croire, le véritable scandale avec la Fondation Trudeau n’est pas qu’elle ait accepté de l’argent provenant, semble-t-il, du gouvernement chinois, mais plutôt que son fonds de dotation ne provient nullement de la famille Trudeau, comme on pourrait le croire — car des membres et des amis de la famille ont toujours siégé au conseil d’administration —, mais essentiellement de deniers publics !

Comme cela a parfois été rappelé en passant, c’est curieusement le premier ministre Jean Chrétien qui a décidé, en 2002, de prendre 125 millions de dollars d’argent public pour faire la promotion des idées et de l’image de Pierre Elliott Trudeau. C’est en somme un détournement de fonds publics au service d’une cause privée qui aurait dû être entièrement assumée par la famille Trudeau si elle avait décidé d’utiliser ses propres ressources financières à cette fin comme le font toutes les fondations familiales.

Bien sûr, on dira que cette fondation donne des bourses à des Canadiens dans le domaine des sciences sociales et que cela est utile. Mais c’est oublier que ces bourses ne font en fait que la promotion des idées et de l’image de Pierre Elliott Trudeau. C’est surtout passer sous silence que si le gouvernement libéral avait vraiment voulu aider les recherches en sciences humaines et sociales en offrant des bourses, il aurait pu simplement ajouter ces 125 millions de dollars au budget du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), organisme créé par le gouvernement en 1977 et dont la mission est justement d’offrir des bourses et des subventions aux chercheurs, le tout sans aucun biais politique ou idéologique, par l’entremise de l’examen par les pairs des projets soumis.

Ayant moi-même siégé au conseil d’administration du CRSH de 1999 à 2005, je peux assurer que ce « don » aurait été apprécié par cet organisme voué à appuyer la recherche dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. Étant bien connu, le CRSH n’a d’ailleurs pas à insister comme le fait la Fondation Trudeau pour dire qu’elle est « indépendante et sans affiliation politique », même si des membres de la famille siègent à son conseil d’administration…

Au moins jusqu’en 2016, le site de la Fondation entretenait encore plus la confusion sur la source des fonds en indiquant qu’elle avait été créée « par la famille, les amis et les collègues de l’ancien premier ministre ». Aujourd’hui, on lit plutôt qu’elle « est un organisme de bienfaisance indépendant et sans affiliation politique créé en 2001 pour rendre hommage à l’ancien premier ministre ». On ne dit plus par qui et on n’insiste surtout pas sur le fait que l’essentiel de son fonds de dotation provient de citoyens canadiens, auxquels on n’a surtout pas demandé leur avis. Peinant à attirer des fonds privés, on comprend qu’elle ait vu d’un bon œil un don chinois de 200 000 $.

Bien sûr, pour les « Trudeau Scholars » — probablement peu enclins à prôner l’indépendance du Québec — et autres lauréats de cette fondation, l’argent n’a pas d’odeur. La controverse actuelle entourant cette curieuse fondation permet toutefois de rappeler que ce sont bien les Canadiens qui, sans le savoir vraiment, offrent l’essentiel de ces octrois intéressés et non la famille Trudeau et ses amis.

On pourrait peut-être même profiter de la crise actuelle pour lui retirer les 125 millions et les mettre enfin dans les coffres du CRSH, mettant ainsi fin à un détournement de fonds publics aux seules fins de la promotion des idées d’un ancien premier ministre qui n’a jamais fait l’unanimité, surtout pas au Québec.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo