Notre solidarité est unique, et pas pour les raisons que l’on pourrait croire

« Il est pour le moins étonnant que notre intelligentsia ait perdu le nord en oubliant les qualités de notre spécificité sociale et la nature de nos racines alimentées par des solidarités particulières », note l’auteur.
Photo: Jacques Nadeau archives Le Devoir « Il est pour le moins étonnant que notre intelligentsia ait perdu le nord en oubliant les qualités de notre spécificité sociale et la nature de nos racines alimentées par des solidarités particulières », note l’auteur.

Depuis quelques jours, j’écoute et je lis les chroniques, les analyses, les commentaires dans les journaux, la radio et même dans les médias sociaux sur la solidarité catholique du premier ministre François Legault. Et je suis étonné ! Étonné de voir l’effusion de commentaires provenant de notre élite intellectuelle et journalistique qui s’abreuve aux paroles du premier ministre pour parler de notre passé et de notre présent comme société québécoise. Étonné de voir la pauvreté de certaines analyses des faits portant sur notre société. On dirait que journalistes et analystes carburent aux commentaires aussi maladroits que ceux de Francois Legault. Ils ont une analyse du Québec et des rapports complexes entre religion et laïcité qui, pour plusieurs, ressemble à celle du premier ministre.

Voici quelques affirmations bien senties entendues et vues çà et là : « Le Québec n’est pas plus solidaire que les autres sociétés » ; « Un véritable esprit communautaire s’est développé dans les pays de religion protestante » ; « La solidarité est une des valeurs importantes véhiculées par le Coran ». On fait la différence entre la solidarité spontanée des dons et la solidarité imposée de l’État. Dans le premier cas, les Québécois sont moins bons que les autres au Canada et, dans le second cas, tout cela reste mécanique, rien à voir avec la valeur de la solidarité. On pourrait continuer ainsi la liste des commentaires de tout acabit.

Chose certaine, le concept de solidarité mériterait d’être précisé et mieux défini. C’est encore pire si on y ajoute l’adjectif catholique, alors on risque de tomber dans le néant, sinon dans l’enfer. En entrant dans le flou de ses mots, on risque de dire bien des choses et son contraire.

Sans entrer dans les définitions et les nuances qui seraient nécessaires, mais trop longues, peut-on souligner des faits historiques et vérifiables qui devraient poser des questions sérieuses à notre intelligentsia québécoise sur notre solidarité ? Le Québec a-t-il des traits singuliers de solidarité qui pourraient indiquer un type particulier du vivre-ensemble ?

Sans être exhaustif, je voudrais simplement soumettre à leur attention le dynamisme particulier de quelques-uns de nos mouvements sociaux. En voici quelques exemples.

Notre mouvement syndical est l’un des plus enracinés dans la société. Le Québec est la société la plus syndicalisée d’Amérique du Nord, à plus de 35 % des travailleurs et travailleuses. Son rôle ne se limite pas à défendre les droits du travail. Ce mouvement a eu un impact social dans la construction de l’État social, mais encore aujourd’hui, par son importance, sur ses engagements politiques et sur ses investissements économiques dans toutes les régions du Québec.

Notre mouvement communautaire n’est pas seulement un mouvement de charité. C’est un mouvement d’aide, d’entraide, de défense des droits sociaux, etc. Un mouvement où l’on peut constater plusieurs variantes et nuances de ce que veut dire la solidarité au quotidien. C’est le seul mouvement communautaire financé, en partie, par l’État dans les Amériques. Imaginez-vous que l’État québécois finance des organismes comme le FRAPRU pour contester les décisions affreuses de la Coalition avenir Québec en matière de logements sociaux !

Notre mouvement des femmes est aussi unique. Avec la marche Du pain et des roses et les marches mondiales des femmes, le mouvement des femmes d’ici a réussi à mettre sur pied un mouvement autonome des femmes à l’échelle mondiale. Notre intelligentsia québécoise devrait relire l’histoire de la charte mondiale des femmes. À l’intérieur de cette charte, qui comporte cinq valeurs, on définit, pour le Québec, la solidarité comme « la couverture des besoins essentiels des personnes à l’aide sociale ». C’est du concret ! Pas encore réalisé à ce jour, par ailleurs. La solidarité reste à faire !

Il y aurait bien d’autres faits sociaux solidaires à mettre devant la conscience de nos interprètes de la société québécoise. Mais il est pour le moins étonnant que notre intelligentsia ait perdu le nord en oubliant les qualités de notre spécificité sociale et la nature de nos racines alimentées par des solidarités particulières. Étonnant aussi que l’on soit tant aveuglé par les rapports entre le religieux des religions et le religieux de la laïcité pour s’enfermer autant dans l’imaginaire religieux tout court.

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