Il est grand temps de faire l’histoire, Monsieur Carmant

«On dirait de la
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne «On dirait de la "réforme Carmant" qu’elle aurait mis fin à l’insuffisance des soins qui font perdurer la souffrance et minent la dignité des personnes malades», défend l’auteur.

Dans un ouvrage qui vient tout juste de sortir, deux réformateurs du système de justice américain font l’apologie du « gradualisme », une approche des politiques publiques qui soutient des politiques plus modestes déployées par étapes pour effectuer des changements importants dans la société.

Parmi les arguments qui soutiennent leur position, on compte l’idée que cette approche mène à des consensus a priori inexistants sur le spectre politique à mesure que les changements sont déployés. Mais cette approche ne s’applique pas à tous les contextes. En témoigne la réforme Dubé ; quand le bateau coule, le temps presse, et on doit agir avec détermination et audace.

Pouvons-nous nous permettre une approche gradualiste en santé mentale telle qu’on l’observe depuis quelques années ? Bien sûr que non. Non seulement le bateau coule, mais le système n’a jamais eu la tête hors de l’eau. Et il y a bel et bien un consensus parmi les différents partis politiques et dans la société : la situation est intenable.

Faute de soins adéquats, l’état de certaines personnes gravement malades se détériore. Des centaines de personnes s’enlèvent la vie dans le silence et l’anonymat chaque année, laissant des proches dévastés par milliers. Malgré des investissements « sans précédent » par le gouvernement, les listes d’attente n’ont pas bougé d’un poil.

J’ai été hospitalisé à la fin de ma vingtaine et j’aide maintenant des jeunes qui sont hospitalisés dans mon rôle de pair aidant. Comme patient partenaire, j’ai vécu les carences du système et, comme intervenant, je constate qu’elles ont toujours cours. Je suis tombé sur le répondeur d’une ligne d’écoute. C’est le symptôme d’un système brisé.

Des deux côtés du rideau, on voit donc une même réalité qui doit changer. La semaine dernière, un jeune de 14 ans souffrant de psychose désirait aller jouer au basketball au gymnase de l’hôpital pour sortir de sa chambre. Pas assez de personnel pour l’accompagner.

Faire l’histoire

De nombreux observateurs affirment que ce qui importe le plus aux hommes politiques est la marque qu’ils laisseront dans l’histoire. Et l’histoire, quant à elle, s’écrit dans les moments de crise. Quoi de mieux qu’une pandémie ayant vulnérabilisé des pans entiers de la société pour laisser sa marque ?

Par ailleurs, les grandes réformes, comme celle souhaitée pour la santé mentale, ont comme dénominateur commun de redonner aux individus de la dignité : sauver la langue d’un peuple opprimé, nationaliser une ressource prise en otage par des intérêts particuliers, mettre en place un système de garderies qui permet aux femmes de participer pleinement au marché du travail. Les Laurin, Lévesque et Marois ont bel et bien laissé leur marque dans le livre de l’histoire en réalisant des tours de force qui ont fait dévier la trajectoire du Québec.

On ne compte plus le nombre de textes dans les pages d’opinions à propos de la santé mentale qui sonnent l’alarme. Le chroniqueur Patrick Lagacé soutenait, il y a maintenant déjà quatre ans, que les choses changeraient vraiment lorsque la société serait en colère. N’en sommes-nous pas déjà là ?

N’étant pas capables d’inverser la tendance de manière substantielle avec l’indignation seule, devrions-nous adopter un autre ton ? Quelque chose comme envisager l’immense exploit que serait une réforme réellement salvatrice, Monsieur le Ministre des Services sociaux, Lionel Carmant ? Quel accomplissement ce serait que de faire enfin entrer dans la modernité les soins en santé mentale au Québec ! On dirait de la « réforme Carmant » qu’elle aurait mis fin à l’insuffisance des soins qui font perdurer la souffrance et minent la dignité des personnes malades. Elle sauverait des vies. On l’enseignerait à l’université. Elle ferait l’envie du monde entier.

Il est grand temps que l’on convainque une fois de plus les gens que la politique est capable de grandes choses et qu’elle a le pouvoir de changer des vies. Rêvons quelques instants… pourquoi ne pas viser, comme le fait l’Association québécoise de prévention du suicide, une société sans suicide ? Des hôpitaux accueillants qui donnent aux personnes en grave détresse le confort et le ressourcement dont elles ont besoin ? Une éradication des listes d’attente ? Mettre fin à l’exode des psychologues du public au privé ?

La gloire d’un politicien n’a d’égal que l’audace et l’ambition des politiques qu’il fait adopter. C’est de ce type d’individus que se souvient l’histoire, Monsieur Carmant. À vous de jouer.

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