Débattre de laïcité et d’islamophobie sans se déchirer

« Je crois toujours à la nécessité de créer des espaces où les gens peuvent discuter franchement et ouvertement de questions sensibles, en étant d’accord ou pas », écrit l’auteur.
Photo: iStock « Je crois toujours à la nécessité de créer des espaces où les gens peuvent discuter franchement et ouvertement de questions sensibles, en étant d’accord ou pas », écrit l’auteur.

Le 22 mars 2023, Le Devoir a publié une lettre de Fatima Aboubakr qui critiquait un organisme et l’un de ses administrateurs. Bien que l’article ne mentionne pas de noms, tous ceux qui ont été impliqués dans cette organisation, qui ont interagi avec elle ou qui ont assisté à ses activités savent que l’organisation en question est Ensaneyoun N.A. (NA pour Amérique du Nord) et que la personne dont il est question est moi-même. Ensaneyoun se traduit par « Les humanistes », mais le terme n’a pas tout à fait les mêmes connotations qu’en français.

Ensaneyoun étant une petite organisation, relativement nouvelle, axée sur les débats intellectuels et politiques, les détails de cette confrontation n’intéressent probablement pas le lectorat du Devoir. Mais ce qui est important, ce sont les accusations — fausses — selon lesquelles certains « islamistes » en son sein ont un programme et qu’ils le mettent en œuvre de façon cachée, une préoccupation valable, et qui n’est pas rare parmi ceux qui s’inquiètent pour l’avenir du Québec.

Ensaneyoun a été créé avec des objectifs clairs : être une organisation culturelle et intellectuelle sans lien ou affiliation religieuse ou politique, qui favorise la discussion de questions controversées dans le respect ; offrir aux personnes issues de la région arabe une représentation autre que celle des groupes religieux typiques.

Mme Aboubakr était membre fondatrice d’Ensaneyoun et l’a quittée, écrit-elle, parce qu’elle n’y trouvait « plus rien d’humaniste ni de laïque ». Elle affirme que l’organisation se trouve dans une situation problématique, notamment parce que les membres ont des attentes différentes. Je suis d’accord avec cela, et c’est l’une des raisons, parmi d’autres, qui m’ont poussé à quitter mon poste de membre du conseil d’administration, puis, plus récemment, à quitter l’organisation que j’ai cofondée.

Les débats sur les religions, la laïcité, le sécularisme et l’islamophobie font partie des objectifs de l’organisation, et les divergences et la confrontation des idées sont tout à fait légitimes. Les opinions de Mme Aboubakr sont légitimes, elles doivent être écoutées et débattues, et elles l’ont été. Mais les débats doivent être menés avec un minimum d’éthique.

Faciliter le dialogue

Je crois qu’il est important d’écouter toutes les personnes afin de leur donner la possibilité de changer leurs idées, si elles le souhaitent. Ensaneyoun a été créée pour faciliter le dialogue, aider les gens de tous bords et créer des lieux où chacun peut exprimer ses opinions et ses idées et remettre en question les normes qu’il est souvent difficile de remettre en question au sein des communautés arabophones.

Je réfute la lecture que fait Mme Aboubakr de mes interventions ; je n’ai jamais utilisé ce forum pour diaboliser le Québec et je n’ai jamais dit qu’un des intervenants n’aurait pas dû qualifier Daech d’organisation terroriste. Elle prétend que j’ai réagi violemment pour empêcher la diffusion d’un enregistrement vidéo d’un webinaire au cours duquel ces déclarations ont été faites. Or, cette vidéo a été publiée juste après l’événement et elle est toujours disponible.

Mon plaidoyer pour l’ouverture et l’échange guide le travail de toute une vie : contrer le fondamentalisme et les dogmes qui poussent les jeunes vers des idéologies terroristes.

Il est vrai que je ne suis pas d’accord avec Mme Aboubakr sur le projet de loi 21, et j’ai mes opinions là-dessus. Ce n’est un secret pour personne que je critique certaines politiques québécoises et que j’appuie la nomination de Mme Elghawaby. Mais j’ai toujours été respectueux de Mme Aboubakr et de ses opinions, tant en public qu’en privé. J’ai même fait un compromis important une fois, lorsque nous nous rendions ensemble à un événement social et qu’elle m’a demandé d’enlever mon macaron « Non à la loi 21 », que je porte depuis des années. Je l’ai fait, par courtoisie pour elle.

Je crois au droit de soutenir ou de s’opposer pacifiquement et respectueusement à toute croyance, loi ou opinion. J’estime que les attitudes clivantes et stigmatisantes de Mme Aboubakr et de certains autres membres ont réduit la possibilité de créer un climat de débats fructueux.

Je crois toujours à la nécessité de créer des espaces où les gens peuvent discuter franchement et ouvertement de questions sensibles, en étant d’accord ou pas. Un espace qui ouvre à tous, y compris à moi-même, la possibilité de changer de perspective ou de changer complètement d’opinion, tant que cette recherche de nouvelles modalités du vivre-ensemble se fait sereinement.

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