L’agence Santé Québec inc.

« Les marchands de soins et leurs alliés politiques portent donc une responsabilité historique indéniable dans la dégradation des services publics de santé », écrit l’auteur.
John Moore Getty Images via AFP « Les marchands de soins et leurs alliés politiques portent donc une responsabilité historique indéniable dans la dégradation des services publics de santé », écrit l’auteur.

On apprenait la semaine dernière que le gouvernement prévoit confier les postes de direction de la nouvelle agence Santé Québec à des « top guns du secteur privé ». Ce sont donc des dirigeants d’entreprises, recommandés au ministre de la Santé par d’autres dirigeants d’entreprises, qui seront à la tête de cette nouvelle instance centrale destinée à chapeauter le système public de santé. Les intentions du gouvernement ont le mérite d’être très claires : ce qu’il faut bien appeler l’agence Santé Québec inc. aura pour mission de réaliser la vision du système de santé portée par le milieu des affaires (qui est aussi, incidemment, celle du gouvernement).

À certains égards, la situation actuelle rappelle un épisode oublié de l’histoire du système de santé québécois. Durant les années 1980, en plein virage néolibéral, le gouvernement de Robert Bourassa avait confié à un comité de travail la tâche d’évaluer l’ensemble des organisations gouvernementales, dont le réseau de la santé. Présidé par Paul Gobeil, ancien p.-d.g. de Provigo, ce comité était composé à 80 % d’hommes d’affaires (et d’aucune femme). Pour cette raison, ses détracteurs l’avaient, à l’époque, surnommé le « Comité Provigo ». Parmi les recommandations de son rapport, publié en 1986, figuraient la privatisation des hôpitaux et l’abolition des CLSC.

En raison de l’opposition populaire qu’elles ont suscitée, ces recommandations n’ont pas pu être mises en place immédiatement, mais plusieurs d’entre elles ont été réalisées dans les décennies qui ont suivi ou sont en voie de l’être par le gouvernement actuel. Il faut préciser que les hommes d’affaires à la tête du Comité Provigo n’avaient qu’un pouvoir de recommandation. Pour Santé Québec inc., on lui offre la direction de ce qui deviendra le lieu décisionnel le plus puissant au sein du réseau, et on prévoit même payer les employés grassement pour occuper ce nouveau poste de pouvoir.

Mais le secteur privé peut-il vraiment sauver le réseau public, comme le prétend le gouvernement ? Un simple coup d’oeil au rôle qu’il a joué dans son évolution par le passé suffit pour en douter fortement.

Dès le départ, le milieu des affaires était farouchement opposé à la création du système public, comme le montrent clairement les mémoires soumis à la Commission Castonguay-Nepveu par la Chambre de commerce du Québec, l’Association des manufacturiers canadiens, l’industrie pharmaceutique et celle des assurances privées. Malgré ces résistances, l’adoption d’une assurance maladie publique et universelle et la création d’un réseau public d’établissements de santé étaient devenues incontournables au début des années 1970.

Responsabilité historique

Dès lors, les associations d’affaires et patronales ont oeuvré sans relâche à l’érosion de cet acquis majeur des mouvements syndicaux et populaires. Pour qui souhaite profiter des occasions d’affaires offertes par le marché de la maladie, les mesures mises en place pour favoriser un accès universel aux soins étaient des obstacles à abolir. C’est en bonne partie sous la pression insistante du milieu des affaires que les gouvernements successifs ont, au cours des dernières décennies, soumis le réseau à un sous-financement chronique et à une suite de réformes néolibérales aux conséquences cumulatives catastrophiques.

Les marchands de soins et leurs alliés politiques portent donc une responsabilité historique indéniable dans la dégradation des services publics de santé. Et ils ont maintenant beau jeu de présenter le secteur privé à la source du problème comme étant la solution.

Dans ces conditions, que le gouvernement choisisse d’appeler la Chambre de commerce de Montréal et des entreprises telles que IBM, Google, Énergir, Pharmaprix et KPMG à la rescousse du système public est inquiétant, mais pas surprenant, surtout lorsque l’on considère la composition actuelle du Conseil des ministres. En effet, il faut savoir que plus du tiers (36 %) de ses membres, dont le ministre de la Santé, Christian Dubé, sont des hommes ou des femmes d’affaires. Dans la population générale du Québec, les entrepreneurs ne comptent que pour 2,3 %.

Comme on l’a expliqué ailleurs, nul besoin de recourir à des théories du complot pour expliquer la capacité d’influence du milieu des affaires sur les gouvernements. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec la Coalition avenir Québec au pouvoir, le gratin économique est bien représenté à la tête de l’État.

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