La fermeture du chemin Roxham est un vrai drame pour nous, les migrants

« La fermeture Roxham, nous le ressentons comme un coup dur pour tous les migrants », écrit l’autrice.
Ryan Remiorz La Presse canadienne « La fermeture Roxham, nous le ressentons comme un coup dur pour tous les migrants », écrit l’autrice.

J’ai le cœur brisé : le gouvernement canadien a annoncé sans aucun avertissement la fermeture aux demandeurs d’asile du chemin Roxham, par lequel je suis passée, de même que l’ensemble de la frontière canadienne. J’imagine les centaines ou même les milliers de migrants qui vont souffrir de cette décision dans les prochains mois.

Beaucoup de choses ont été dites sur nous, les demandeurs d’asile, mais très peu sur les raisons qui expliquent pourquoi tant de personnes comme moi ne se sentent pas en sécurité aux États-Unis. En Haïti, j’étais infirmière depuis des années dans un grand hôpital universitaire. Je n’avais jamais pensé quitter mon pays, mais j’ai vécu des attaques et un grand danger qui ont fait basculer ma vie. J’ai dû me sauver aux États-Unis en septembre 2020.

En lisant aujourd’hui tout ce qui s’écrit sur la fermeture du chemin Roxham, je comprends que, pour de nombreux Canadiens, il est facile de considérer les immigrants comme des envahisseurs, mais beaucoup plus difficile de comprendre ce qui se cache derrière le choix que nous avons fait de migrer.

J’ai passé un an et deux mois aux États-Unis comme demandeuse d’asile, et j’en ai énormément souffert. Je n’ai jamais eu droit à un permis de travail ni à un sou d’aide financière de la part du gouvernement américain. Le peu d’économies que j’avais en arrivant a fondu comme neige au soleil et, en l’espace de quelques semaines, nous n’avions plus d’argent pour manger ni pour envoyer notre enfant à l’école.

Mes journées aux États-Unis, ma famille de quatre entassée dans une minuscule chambre, se sont résumées à nous lever, à nous coucher et à attendre que quelqu’un passe pour nous donner à manger. Et nous avons été chanceux : personne dans la famille n’a été malade. Car là-bas, les demandeurs d’asile n’ont pas droit aux soins de santé. Je connais de nombreuses personnes malades qui ont dépéri sans pouvoir consulter un médecin ni prendre la médication pour leur diabète ou d’autres problèmes de santé bien pires.

Lorsqu’on demande l’asile aux États-Unis, on sait qu’on vivra dans cette pauvreté pour de longues années. Une connaissance a demandé l’asile aux États-Unis en 2013 ; il est décédé en 2022, neuf ans plus tard, toujours en attente de son audience d’asile et d’un statut. La seule façon de s’en sortir, c’est de faire des petits boulots au noir : on vous fait travailler 10 ou 12 heures par jour, en vous payant bien moins que le salaire minimum, dans les pires emplois. Vivre sans argent et sans avoir le droit de travailler est une vraie torture : on ne veut pas travailler illégalement, mais on n’a pas le choix de le faire pour nourrir nos enfants.

J’ai quitté les États-Unis avec ma famille pour entrer au Canada en décembre 2021 par le chemin Roxham parce que c’était ma seule option. Si j’étais entrée par le poste-frontière officiel, à Lacolle, on m’aurait refoulée aux États-Unis. Je n’ai jamais voulu commettre de crime, d’infraction, ni de geste négatif pour la société canadienne : j’avais simplement besoin de sécurité pour moi, mon mari et mes enfants.

Aujourd’hui, j’ai accouché, j’ai un jeune enfant et je suis bénévole dans des organismes communautaires de Montréal. Mon mari travaille dans le secteur des services essentiels. Mon enfant va à l’école. J’ai mon diplôme de préposée aux bénéficiaires, et nous faisons de notre mieux pour contribuer à la société canadienne. Je suis prête à attendre avec patience la décision du gouvernement pour mon statut, et je suis reconnaissante de l’accueil incroyable que les Canadiens m’ont offert sur tous les plans.

La fermeture du chemin Roxham, nous le ressentons comme un coup dur pour tous les migrants. Tous ceux qui sont en Haïti, en Amérique centrale et ailleurs ne savent pas encore à quel point être demandeur d’asile aux États-Unis est extrêmement difficile. Les gens vont essayer de traverser par d’autres chemins, parce qu’on n’a pas le choix d’essayer de survivre pour nos enfants. Les gens vont mourir dans les bois et se désespérer d’avoir été refoulés aux États-Unis. S’il s’agit d’un pays sûr, pourquoi tant de personnes comme moi traversent-elles encore la frontière vers le Canada ?

C’est parce que nous souffrons trop dans ce pays inégal, et venir au Canada nous permet de sauver notre vie. Maintenant que j’y suis, et même si ce n’est pas facile tous les jours, je peux dire que c’est le premier pays où je me suis sentie accueillie et où j’ai pu commencer à contribuer à mon tour à la société.

Pour tous les migrants, je prie que le Canada permette à nouveau à des personnes comme moi d’avoir accès au processus de demande d’asile.
 


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