Désastre à l’édifice William-Watson-Ogilvie

« Le Vieux-Montréal appartient en grande partie à des spéculateurs et les risques d’incendie sont bien présents dans beaucoup d’immeubles », note l’auteur.
Jacques Nadeau Le Devoir « Le Vieux-Montréal appartient en grande partie à des spéculateurs et les risques d’incendie sont bien présents dans beaucoup d’immeubles », note l’auteur.

L’incendie survenu la semaine dernière dans le Vieux-Montréal interpelle tous les citoyens de cette ville. Je ne m’étendrai pas sur le fiasco complet en ce qui a trait au contrôle des Airbnb illégaux qui pullulent dans le Vieux-Montréal : aveu d’incapacité des pouvoirs publics se renvoyant la balle devant les médias. Le drame qui vient de se produire ne permet plus la tergiversation.

Hormis la tristesse de savoir que des innocents ont péri, pour rien, dans cet incendie, je pense que les citoyens devraient savoir quel sort sera réservé à ce bâtiment patrimonial d’importance. On a entrepris de démolir les étages supérieurs, pour avoir accès aux décombres et sortir les corps de ceux qui ont péri, ce qui est compréhensible et reste, bien entendu, la chose à faire en priorité dans les circonstances.

Mais que fera-t-on des « pierres numérotées » ? Que fera-t-on de ce site très important sur le plan historique, pour Montréal et plus largement pour le Québec ? Y aura-t-il reconstruction ? Après tout, c’est avec des fonds publics que le démantèlement de la façade et la démolition des planchers vont s’effectuer.

Le sous-sol de l’édifice William-Watson-Ogilvie est contigu à celui du site historique extraordinaire du fort de Montréal, le musée Pointe-à-Callière. Il est possible que les sols archéologiques de la maison William-Watson-Ogilvie recèlent des vestiges qui soient tout aussi importants que ceux du musée adjacent. Car, en fait, il s’agit du situs même de la fondation de notre ville. Une plaque en marbre sur la maison William-Watson-Ogilvie rappelle que le château de Callière se trouvait à cet endroit.

Le démantèlement par anastylose d’un immeuble en ruine est un procédé reconnu et permet sa reconstruction par la suite, mais a-t-on rassemblé une équipe d’experts pour procéder à ce démantèlement de la bonne manière ? Le ministère de la Culture va probablement se prononcer sur le sort réservé à ce bâtiment, mais que recommandera-t-il ? La plus grande transparence serait certainement appréciée par les citoyens dans les circonstances.

Le risque, bien sûr, c’est que les pierres numérotées soient mises « quelque part », qu’on les oublie avec les années et que le propriétaire puisse enfin proposer une autre tour laide de condos en béton et en verre, et peut-être coller quelques pierres anciennes sur la façade, sorte de façadisme à prix réduit ? Le Vieux-Montréal appartient en grande partie à des spéculateurs et les risques d’incendie sont bien présents dans beaucoup d’immeubles de ce quartier. Or, un incendie mène à la destruction qui à son tour mène à un terrain vague pour quelques années, une spirale qui conduit à une demande de permis, pour finir par… du béton. La formule est bien connue.

C’est comme cela qu’une ville est détruite, graduellement, pierre après pierre, et que les immeubles historiques sont remplacés par des tours en béton. Le Vieux-Montréal est certainement le quartier le plus fragile de notre ville : un désastre sur le plan humain s’y est produit, et l’heure n’est pas à la reconstruction : la priorité va aux familles qui souffrent. Mais par la suite, un échec supplémentaire, sur le plan patrimonial, peut se produire, à moins que les pouvoirs publics affichent une volonté forte et prennent les mesures nécessaires pour préserver le peu qu’il nous reste ?

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