L’éléphant dans la classe

« L’apprentissage se bâtit durant toute une vie, mais les fondations commencent dans les premières années et devraient être terminées bien avant le secondaire », rapporte l’autrice.
Pascal Pavani Agence France-Presse « L’apprentissage se bâtit durant toute une vie, mais les fondations commencent dans les premières années et devraient être terminées bien avant le secondaire », rapporte l’autrice.

On parle beaucoup d’éducation ces temps-ci. On fait les mêmes constats, soit la baisse de qualité du français, la baisse de qualité de l’enseignement, l’épuisement des enseignants. Et on rapporte les mêmes causes : manque d’enseignants, manque de formation, manque de personnel de soutien et de professionnels en réadaptation et… l’école à trois vitesses.

Cette fixation sur l’école à trois vitesses me fascine d’ailleurs dans la mesure où elle ne concerne que le secondaire, alors que les problèmes commencent bien avant. C’est d’ailleurs à mon avis la conséquence bien plus que la cause d’un problème plus profond.

On manque d’orthophonistes, d’ergothérapeutes, d’éducateurs spécialisés (TES) ; pourtant, une directrice d’école primaire me confia un jour qu’elle n’avait jamais eu autant de ressources dans son école.

La réalité est que la demande a explosé.

 

Je suis pédiatre depuis 30 ans et je n’ai jamais entendu parler du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) dans ma formation, et j’ai fait mes études au Québec. Maintenant, au moins 75 % de mon temps est concentré à mes patients avec TDAH et autres troubles neurodéveloppementaux. Mes collègues ont des pratiques similaires dans tout le Québec.

Et contrairement à la rumeur populaire, cela fait longtemps qu’on ne nous envoie plus des enfants qui ont juste de la bougeotte.

On reçoit des enfants du primaire qui se désorganisent dans la classe et qui ont parfois besoin de maîtrise physique et, croyez-le ou non, parfois d’intervention policière.

La réalité est que les enfants ont changé.

Tous les acteurs qui œuvrent avec des enfants (en éducation et en santé) vous le confirmeront : les problèmes comportementaux liés à des difficultés d’autorégulation ont explosé.

Apprendre, ce n’est pas facile. Il y a des prérequis : avoir la capacité d’être attentif, de se concentrer, de fournir des efforts, de persévérer malgré les difficultés, de reconnaître ses erreurs, d’accepter de se corriger. On doit apprendre à se plier aux règles, qu’elles nous plaisent ou non, et accepter l’autorité. Et cela peut paraître surprenant, ce sont ces mêmes aptitudes qui permettent de développer des relations sociales harmonieuses.

Un enfant qui ne parvient pas à bien s’autoréguler rencontrera souvent des difficultés avec la gestion des émotions, l’adaptation aux changements, la tolérance aux frustrations liées aux échecs et aux refus. Sans autorégulation, difficile de maintenir sa concentration, de fournir un effort mental soutenu. S’ensuivent souvent une moins bonne estime personnelle, une faible confiance en soi et probablement plus d’anxiété (de performance entre autres).

Tous ces enfants avec des difficultés d’autorégulation ne se désorganisent pas bien sûr. Mais ils mobilisent beaucoup de ressources, de temps et d’énergie, qui ne seront pas disponibles pour d’autres élèves aux prises avec des problématiques parfois lourdes, mais qui ne perturbent pas le fonctionnement de la classe.

Il faut regarder la réalité en face. L’apprentissage se bâtit durant toute une vie, mais les fondations commencent dans les premières années et devraient être terminées bien avant le secondaire. C’est tellement vrai et triste que je suis certaine qu’on peut prédire dès le milieu du primaire quels élèves échoueront à réussir un parcours scolaire régulier.

Je crois que nous ne pourrons pas faire l’économie d’un débat plus profond, parce qu’à mon humble avis, dans les conditions actuelles du réseau scolaire, réfléchir à des réformes au secondaire et au cégep, c’est tenter de construire sur des fondations bien fragiles. Ce n’est même plus du rattrapage, c’est du rafistolage.

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