Gatineau manque à ses obligations en matière d’itinérance

«L’absence de volonté de la Ville et du CISSSO de trouver des solutions durables et d’offrir des conditions qui ne portent pas atteinte aux droits des personnes en situation d’itinérance dénote une évidente discrimination basée sur le statut social», affirment les auteurs. 
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir «L’absence de volonté de la Ville et du CISSSO de trouver des solutions durables et d’offrir des conditions qui ne portent pas atteinte aux droits des personnes en situation d’itinérance dénote une évidente discrimination basée sur le statut social», affirment les auteurs. 

Le Deuxième portrait de l’itinérance au Québec, publié par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en 2022, affirme qu’entre 2018 et 2021, on a observé une « augmentation notable du nombre de personnes en situation d’itinérance, particulièrement à Montréal et à Gatineau ». À Gatineau, selon le MSSS, cette augmentation a été substantielle durant la pandémie de COVID-19, la demande en hébergement d’urgence ayant augmenté de 18 %.

Malgré cette augmentation notable, il n’existe qu’un seul refuge dans la région, le Gîte Ami, lequel dispose de seulement 59 places en hébergement d’urgence. Il n’existe aucun hébergement d’urgence spécifiquement pour les femmes en situation d’itinérance.

Jusqu’en 2021, la Ville de Gatineau, assistée de son service de police, démantelait les campements organisés par les personnes en situation d’itinérance. Depuis deux ans, ce démantèlement aurait été remplacé par un « ménage » mené à l’aide de pelles mécaniques et de camions et durant lequel les effets personnels qui ne sont pas retirés du site sont détruits ou jetés.

Pour la Commission canadienne des droits de la personne, ce ménage pose les mêmes problèmes que le démantèlement. En effet, en l’absence de places suffisantes dans les refuges, cette pratique est une violation des droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, et reconnus par des décisions judiciaires récentes dans plusieurs provinces.

Face à l’absence de places en hébergement d’urgence, la Ville et le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO), en collaboration avec des organismes communautaires, ont ouvert une halte-chaleur. Or le lieu ne répond pas aux besoins des personnes, en plus d’être insalubre.

Au courant du mois de janvier, les toilettes étaient bouchées, et aucun plombier n’a accepté d’intervenir ; une situation à laquelle la Ville et le CISSSO ont choisi de ne pas remédier. Une odeur insupportable d’excrément a été le quotidien des personnes utilisatrices et qui travaillent à la halte-chaleur pendant plus d’un mois. Pour remédier à l’absence de toilettes fonctionnelles, des toilettes chimiques ont été installées à l’extérieur, dans des conditions hivernales ayant atteint les moins 40 degrés.

Le 13 février dernier, une fuite d’eau a forcé l’évacuation des personnes se trouvant à la halte-chaleur. Un autobus du Service de transport de l’Outaouais a été nolisé afin d’y loger temporairement les personnes évacuées. Les autorités prétendaient n’avoir trouvé aucune autre solution, malgré les suggestions provenant des organismes de la région. Cette situation déplorable, qui contrevient aux droits de la personne les plus élémentaires, a pris fin le 15 février.

Des expériences antérieures de catastrophes naturelles à Gatineau démontrent pourtant que la Ville et le CISSSO peuvent mobiliser rapidement des ressources. Depuis 2017, ces autorités ont géré une tornade, deux inondations, en plus de la pandémie de la COVID-19. Dans ces situations inattendues, ces autorités ont trouvé rapidement des solutions ne mettant pas en péril la vie, la liberté et la sécurité des personnes. Doit-on en conclure qu’aux yeux des autorités publiques, certaines vies valent plus que d’autres ?

La Ville de Gatineau a annoncé la fermeture de la halte-chaleur en mai prochain sans présenter de plan de réouverture dans d’autres locaux, encore moins de plan de construction de logements sociaux, qui constitueraient pourtant une solution durable. Le CISSSO se décharge de toute responsabilité, la renvoyant plutôt, comme c’est souvent le cas, aux organismes communautaires, qui manquent déjà de ressources et de moyens. En l’absence de solution viable, les personnes en situation d’itinérance n’auront d’autre choix que de dormir dans la rue ou de se constituer de nouveaux campements, ce qui menace leur survie et augmente les risques de leur judiciarisation.

L’absence de volonté de la Ville et du CISSSO de trouver des solutions durables et d’offrir des conditions qui ne portent pas atteinte aux droits des personnes en situation d’itinérance dénote une évidente discrimination basée sur le statut social. Elle révèle aussi l’inquiétant désengagement de l’État à l’égard de ses propres obligations en matière sociale, qu’il est de notre devoir de dénoncer.

 

*Ont cosigné ce texte:

Marie-Eve Sylvestre, Section de droit civil de la Faculté de droit, Université d’Ottawa
Suzanne Bouclin, professeure agrégée, Université d’Ottawa
Bellot Céline, Université de Montréal
Mathieu Déziel, citoyen
Malorie Kanaan, Candidate à la maîtrise en droit et justice sociale à l’Université d’Ottawa
Adréanne Provost-auger, BRAS Outaouais
Nicolas Renaud, CIPTO
Kamie Ouellette, éducatrice en prévention des dépendances, CIPTO
Alexandre Gallant, agent de mobilisation CRIO
Mélissa Laporte
Mathieu Déziel, La Soupière de l’Amitié de Gatineau
Janick Allyson, CIPTO
Angélique Maurier, Envol SRT
Tiffany Kabasele, Centre Mechtilde
Catherine Dubé, Réseau Outaouais ISP
Cathy Michaud, citoyenne et travailleuse au communautaire
Denis Ritchot
Mathilde Robichaud, BRAS Ouataouais
April Bergeron, Bras Outaouais
Marie-Pier Goyette
Noemie Dompierre, Bras Outaouais
Micheline Morin, citoyenne
Eugène michaud, citoyen
Tania Cretes
Alexandra D. Miller, citoyenne
Nancy Malette, Adojeune Inc.
Sandra Poulin, travailleuse de rue à Bras outaouais
Rachel Desjardins
Ann-Esther Lehman, Stagiaire à la CIDSO
Erika, Demers, CIDSO
Laurent Paradis-Charette, Enseignant en sociologie, Cégep de l’Outaouais
Louise Saumier
Emilie Grenon, citoyenne et résidente du Vieux-Hull
Zoé Lafontaine
Chantal Léon, intervenante sociale au communautaire
Annie Castonguay, chargée de cours en travail social du Collège Universel
Jeannette Plante
Sophie Lepine
Jean-François, intervenant communautaire
Cynthia Estenssoro, intervenante au BRAS Outaouais
Marie-Pier Lacroix
Emilie Corneau, étudiante chercheuse, Uottawa, CIDSO
Éliane Laprade, intervenante socio-artistique (LAB)
Myriam Gauthier, Intervenante
Bianca Reitano
Erica Leblanc Deschatelets
Etienne Proulx, CIPTO
Marianne Gagnon
Marie-Eve Parent
Gabrielle Fillion
Melika Saidane
Tanya Dykstra
Arianne Pittet
Melanie Parent, citoyenne
Jade Rancourt
Guillaume Vermette
Janie Yelle, ancienne responsable de la HC de Hull et Gatineau
Simon Chartrand-Paquette
Elsa Gauthier, travailleuse de rue CIPTO
Camille McCooeye
Patrick C. Pilotte, sociologue, Cégep Outaouais
Sara Lambert, Responsable de la recherche, CIDSO
Yannick Boulay, coordonnateur, Centre communautaire Entre-Nous
Léonie Couture, Intervenante au Lab (Cipto)
Emmanuelle Beaudry-Plouffe, Citoyenne
Alex David
Sylvie Trudel, agente de mobilisation, Partenaires du secteur Aylmer
Josée Dubeau
Emilie Laframboise
Jennifer Lynn Parent, gcd
Nadia de Grandpré
Marie-Helene Bellemare
Melissa Barrette intervenante
Audrey kingsbury, intervenante
Yves Séguin, Directeur général, CIPTO
Geneviève Gratton, directrice, Centre de justice de proximité de l’Outaouais
Étienne Senécal, étudiant en travail social, Université du Québec en Outaouais
Alexis, citoyen
Étienne Pichet (Intervenant à Mon Chez Nous)
Rebecca Labelle, Coordonnatrice de Droits-Accès de l’Outaouais
Gabriel Pallotta, président du Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec
Marc Beauchamp, directeur général, Les Oeuvres Isidore Ostiguy
Veronic St-Pierre
François Roy, coordonnateur, Logemen’occupe
Sasha Mia Yakimishan
Cassandra Lafrenière, Avenue des Jeunes
Pierre-Luc Baulne, Adds de Gatineau
Jean Cebastien Baulne
Michel Kasongo, Soupe Populaire de Hull Inc.
Gabrielle Turner, résidente de l’île de Hull
Nathaniel Oliveri-Pilotte, travail de rue
Hélène Gélinas-Surprenant, membre du Conseil d’administration, Soupe populaire de Hull inc.
Thomas Côté, Comité des Locataires
Bernard St-Jacques, Clinique Droits Devant
Sandra Hebert
Mario Viens
Céline Lefebvre, Maison Libère-Elles
Coco Simone Finken, Résident.e de Gatineau
Patricia Fortin-Boileau, bénévole

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