Non, les immigrants n’engendrent pas l’extrême droite

«Sans les demandeurs d’asile et les travailleurs temporaires, le Québec se priverait d’une partie de sa colonne vertébrale», note l’auteur.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne «Sans les demandeurs d’asile et les travailleurs temporaires, le Québec se priverait d’une partie de sa colonne vertébrale», note l’auteur.

La semaine dernière, le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, affirmait que l’arrivée des demandeurs d’asile par le chemin Roxham alimentait la montée des extrêmes politiques, comme c’est le cas en Hongrie ou en France. Par la suite, il s’est défendu en revendiquant le droit de débattre sereinement de la question de l’immigration. Il n’en demeure pas moins que le mal était fait, l’amalgame établi : les immigrants participeraient, selon lui, à la montée de l’extrême droite et du racisme qui y est inhérent.

Les victimes sont-elles la cause de leur discrimination ?

En accusant les demandeurs d’asile du racisme dont ils sont victimes, il devient facile pour les personnes au pouvoir d’éviter de remettre en question leurs pratiques et leurs discours. Si l’extrême droite et le racisme augmentent au Québec, nous n’y serions pour rien, la faute est celle de l’immigrant. Mais depuis quand les victimes sont-elles responsables de la haine qui leur est vouée ? Pour lutter contre le sexisme et les agressions sexuelles, devrions-nous limiter le nombre de femmes ? On comprend vite les limites de ce raisonnement.

Malgré tout, au nom d’une certaine idée de la liberté de débattre, St-Pierre Plamondon croit que la discussion mérite d’avoir lieu. On devrait se demander si, oui ou non, les immigrants sont la source de leur discrimination, mais c’est justement en acceptant un tel débat que les idées d’extrême droite s’immiscent peu à peu dans le discours social, car, il faut bien l’admettre, la rhétorique du chef péquiste emprunte ici à celle des extrêmes dont il prétend s’inquiéter.

Le Rassemblement national, parti nationaliste identitaire de Marine Le Pen, tweetait en 2015 : « Pour lutter contre le racisme, il faut arrêter l’immigration. » Autant dire que Paul St-Pierre Plamondon ne proposait rien de nouveau. Il devient alors légitime de se demander ce qui engendre réellement la prolifération des idées d’extrême droite et leur présence de plus en plus inquiétante dans le discours public.

Les mots, leur connotation et leur diffusion

Historiquement, pour les partis d’extrême droite, la figure du bouc émissaire a toujours été un outil efficace pour rallier la majorité. C’est la peur de l’autre, celle de celui qui ne nous ressemble pas, celle de la différence qui alimentent le sentiment de sécurité qu’on pourrait avoir envers un gouvernement nous promettant sa protection. Pour ce faire, tout un champ sémantique doit se créer autour de cette altérité, et la connotation doit être inquiétante. Et c’est ce qui se passe en ce moment avec les immigrants.

 

Pendant la campagne électorale provinciale de l’automne dernier, les partis caquiste et péquiste ont tour à tour associé l’immigrant à un « problème », à une « menace », à un « suicide » culturel et social, au « déclin de langue française » qui se résume, indirectement, au déclin l’identité québécoise. Il va sans dire que, dans le discours politique québécois, le mot « immigrant » est intimement lié à la disparition d’un pan de notre culture. Ce sont ces amalgames, et l’idée diffusée, médiatisée et répétée que l’immigrant est un danger pour nous, qui participent à alimenter les discours d’extrême droite.

Pour un retournement de la connotation

Si Paul St-Pierre Plamondon est réellement inquiété par « la montée des extrêmes », je l’inviterais à réfléchir aux images qu’il associe aux personnes immigrantes et aux demandeurs d’asile qui traversent le chemin Roxham. La lutte contre l’extrême droite passe inévitablement par le langage et par une reconfiguration du champ lexical entourant la figure de l’immigrant. C’est d’ailleurs ce que fait le documentaire Essentiels, diffusé sur le site de Télé-Québec, qui nous rappelle que sans les demandeurs d’asile et les travailleurs temporaires, le Québec se priverait d’une partie de sa colonne vertébrale.

Dans ce film, les mots « anges gardiens », « essentiels », « travail », « courage », « efforts » sont attribués à ceux qui viennent d’ailleurs. Et c’est avec ce genre de discours, et un minimum de bonne volonté, qu’on ne permettra pas à la politique d’extrême droite de s’enraciner chez nous et de détruire notre culture.

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