Je suis le fils d’un petit gars de Shawinigan

« J’ai déménagé sur le Plateau pour de nombreuses raisons : la proximité des services, la mixité démographique, son positionnement au coeur de la ville et son côté excentrique… », écrit l’auteur.
Marc Bruxelle Getty Images « J’ai déménagé sur le Plateau pour de nombreuses raisons : la proximité des services, la mixité démographique, son positionnement au coeur de la ville et son côté excentrique… », écrit l’auteur.

J’ai déménagé à Montréal il y a de cela sept ans. J’habite sur le fameux Plateau — le fameux quartier de Michel Tremblay, Jean Leloup, les Portugais et depuis quelques années, les Parisiens. Un quartier longtemps connu pour être celui de la classe ouvrière et qui s’est aujourd’hui embourgeoisé.

J’ai déménagé sur le Plateau pour de nombreuses raisons : la proximité des services, la mixité démographique, son positionnement au coeur de la ville et son côté excentrique… Des caractéristiques qui, disons-le, se démarquent de la ville moyenne ou des banlieues américaines où j’ai vécu la majeure partie de ma vie.

Je suis né et j’ai grandi à Manchester, au New Hampshire, à quatre heures au sud de Montréal, dans un quartier francophone qu’on appelait Petit Canada. Mes amis et ma famille y parlaient le français, et je n’ai commencé à parler l’anglais qu’à l’âge de cinq ans.

Avant de s’expatrier aux États-Unis, et ce, depuis le XIXe siècle, ma famille s’était enracinée au coeur de la Mauricie, à Grand-Mère. Je ressens souvent l’appel de cette région, que je porte en moi, même si je n’y ai passé que peu de temps… Ça me prend « ma dose ».

Lorsque nous étions enfants, ma soeur et moi passions plusieurs de nos longues fins de semaine à visiter nos grands-parents et mon oncle Réal, qui demeuraient à Grand-Mère et à Shawinigan. Nous ne manquions pas une occasion d’aller au casse-croûte « Chez Auger : L’ami du gourmet », qui est toujours situé sur la rue principale, la 6e avenue. Ce restaurant, qui a jadis appartenu à mon grand-père, a été vendu à M. et Mme Auger, qui en sont propriétaires depuis plus de cinquante ans.

Photo: BAnQ La rue Sainte-Catherine (aujourd’hui 6e avenue) à Grand-Mère, vers 1920-1930.

De notre village du New Hampshire, en route vers la frontière canadienne, c’est l’excitation au ventre que nous attendions que les stations de radio passent au français. Quand nos parents s’arrêtaient pour faire le plein d’essence et que les Américains nous comprenaient et nous répondaient en français, on savait que l’on approchait des douanes canadiennes. J’en garde un souvenir intarissable.

Grand-Mère, Shawinigan, Trois-Rivières. Trois villes mauriciennes où je reconnais encore les rues de certains quartiers, celles de mes souvenirs. La rue où ma soeur et moi jouions, celle où je me faisais couper les cheveux chez un barbier qui connaissait mes grands-parents, ou encore la rue de mes grands-parents, ou celle de notre oncle Réal. On se sentait comme à la maison. Ces rues étaient nos racines, et dans mes yeux d’enfant, cela représentait un pays.

Quand le moment du départ venait, j’étais triste de quitter mes grands-parents et triste de quitter la Mauricie, que j’aimais beaucoup. Je savais que je retournais à Manchester, au New Hampshire, dans mon pays natal. Mais quelle est la différence pour un enfant entre le pays où il est né et le pays où se trouve son coeur ? Je me sentais autant chez moi, sinon plus, dans la région de la Mauricie, où j’ai passé moins de temps, que dans ma propre ville natale.

Ma famille et moi, nous sommes des franco-américains. Je suis Franco-Américain.

Aujourd’hui se trouvent encore à Manchester quelques familles originaires de la Mauricie, et quand nous leur demandons d’où ils viennent, les gens répondent avec fierté et avec un accent à la Jack Kerouac : « Trois-Rivères » ou même « Three-Rivers ».

Je suis un immigrant qui est retourné dans son pays natal. Pays qui, sans m’avoir mis au monde, permet à mon coeur de trouver ses racines. Mon quartier est le Plateau. Ma ville est Montréal. Même si je n’y ai jamais habité, mon village sera toujours la petite ville de Grand-Mère, à côté de Shawinigan.

Ma famille et moi, nous sommes des Franco-Américains. Je suis franco-américain. Comme disait Gaston Miron, je ne suis pas revenu pour revenir, je suis arrivé à ce qui commence : au Québec.

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