Il faut un changement de paradigme en santé

« La mise en place de véritables services d’urgences mineures dans les CLSC pourrait alléger la pression sur les urgences hospitalières », observe l’auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir « La mise en place de véritables services d’urgences mineures dans les CLSC pourrait alléger la pression sur les urgences hospitalières », observe l’auteur.

J’ai beaucoup d’empathie pour vous, Monsieur le Ministre de la Santé, et pour tout le personnel de ce grand système de santé et de services sociaux. J’en ai encore plus pour ceux qui doivent recourir aux urgences hospitalières. Nous admettons tous que les problèmes durent depuis des décennies. Nous comprenons qu’il n’y a pas de solution magique ni instantanée. Cependant, au-delà d’éteindre des feux, il faudrait un changement de paradigme puisque les solutions du passé se sont avérées infructueuses.

En tout respect, il semble bien que les efforts actuels ne suffiront pas pour désengorger les urgences. Dans ce court message, j’aimerais inviter tous les acteurs du système à dépasser les schémas établis et à imaginer des solutions inédites.

On pourrait, pour utiliser une image, dire que la situation critique des urgences est comme « le serin dans la mine », un indicateur de ce qui ne fonctionne pas dans notre système. Celui-ci est axé sur le curatif et il se caractérise par le médico-hospitalo-centrisme. Il y aurait toute une analyse à faire à ce sujet, mais là n’est pas mon propos. Il y a différents types de problèmes, certains sont conjoncturels, d’autres structurels.

Certaines solutions ponctuelles peuvent alléger le problème, mais elles sont insuffisantes, comme l’ajout de personnel socio-médico-hospitalier. La principale limite de cette solution est que ces ressources sont rares et que leur formation requiert beaucoup de temps. Leurs effets positifs ne se feront sentir qu’à moyen ou long terme.

Pour continuer avec une allégorie, on pourrait dire que la situation des urgences est comme un ponceau bâti pour un certain volume d’eau. En cas de crue majeure, il déborde et il pourrait être emporté. Les équipes de la voirie auront tendance à surveiller le pont, à le consolider pour parer au plus urgent. C’est ce qui se passe dans notre réseau actuellement. Tous les acteurs sont concentrés sur les urgences au quotidien. C’est un réflexe normal, les gestionnaires et les intervenants n’ont pas le choix. Ils doivent faire face à la crise.

Mais qui dans le réseau peut prendre du recul et imaginer des solutions pratiques et réalistes ? Connaissons-nous bien le profil des usagers de l’urgence ? Savons-nous quelle proportion des usagers devrait être orientée ailleurs ? Je suppose que ces informations existent dans certains centres de recherche ou organismes. Ces informations sont-elles portées à l’attention du ministre ?

Revenons à notre ponceau inondé… Qui travaille à régulariser et à diminuer le volume de la rivière ?

Une question d’éducation

L’achalandage dans les urgences ne serait pas d’abord dû à une détérioration de l’état de santé de la population. Ne serait-il pas plutôt attribuable au peu d’éducation à la santé et à la faiblesse de la prise en charge communautaire en amont de la maladie ?

Il reste beaucoup à faire en éducation à la santé, mais qui s’en charge ? Par exemple, pensons aux répercussions positives sur la santé et la qualité de vie des campagnes contre le tabagisme. Combien de cancers et autres maladies ont ainsi été évités ? Personne ne peut nier que la réduction du tabagisme a diminué le nombre d’hospitalisations et de recours à l’urgence au cours des trente dernières années.

Sur le plan institutionnel, nos CLSC sont le maillon faible du réseau de première ligne. Ils sont bien loin de la conception initiale prévue par la commission Castonguay-Nepveu. La mise en place de véritables services d’urgences mineures dans les CLSC pourrait alléger la pression sur les urgences hospitalières, qui deviendraient en quelque sorte des services de deuxième ligne.

De façon préventive, un investissement plus conséquent dans des entreprises d’économie sociale liées à la santé et dans les organismes communautaires contribuerait aussi à diminuer la pression sur les urgences. À titre d’exemple, mentionnons que les centres d’intervention en situation de crise et de prévention du suicide, les cliniques de désintoxication, les refuges pour personnes itinérantes contribuent à alléger les urgences.

Ayant siégé au conseil d’administration de certains de ces organismes, je sais à quel point ils sont vulnérables, sous-équipés et sous-financés. Notons qu’il existe des disparités régionales en cette matière. Il ne s’agirait pas de simplement consacrer des millions à ce secteur, mais de développer une nouvelle stratégie et de réorienter le système vers la prévention et le renforcement du lien social dans notre société.

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