L’école et le rêve fracassé de Guy Rocher

Quand j’ai commencé à étudier la sociologie en 1963, à l’Université de Montréal, l’un des professeurs les plus marquants s’appelait Guy Rocher. Il nous apprenait, avec beaucoup d’ardeur et de conviction, l’ABC de la sociologie tout en multipliant, avec passion, les exemples de toutes sortes, liés à sa participation à la fameuse commission Parent.
Nous étions nombreux dans un amphithéâtre, et tous écoutaient. C’était passionnant, exceptionnel.
Ce qui ressortait des propos et des visions de Rocher, c’était un gigantesque rêve, celui de l’amélioration significative de l’état du peuple québécois grâce à l’instruction, grâce à l’éducation, grâce à la démocratisation du système scolaire.
Quand on a développé le réseau universitaire, quand on a modifié l’ensemble du système scolaire, quand on a ouvert les cégeps, destinés à remplacer le système du cours classique et celui des écoles de techniques et de métiers, je pense savoir que mon ancien professeur était ravi, bouleversé, satisfait. Le rêve semblait vouloir se réaliser.
J’ai commencé à enseigner la sociologie en 1966 à l’externat classique de Longueuil, dans la classe dite de Rhétorique. C’était encore le cours classique, système dit élitiste (ce que je nuancerais), et les étudiants, majoritairement, écrivaient bien et étaient convenablement préparés.
Puis le collège est devenu le cégep Édouard-Montpetit, en 1968. Ayant participé au processus de transition de l’ancien système vers la nouvelle donne, j’ai constaté, chez presque tous, un vaste espoir de lendemains scolaires qui allaient chanter et enchanter le peuple québécois.
Désenchantement
Pendant les années allant de 1968 à 1980, je trouvais que la transition se faisait de manière satisfaisante, souvent formidable. Puis, au fil des années, vint peu à peu un triste désenchantement. Nous étions confrontés à des étudiants de moins en moins préparés au chapitre de la lecture et de la compréhension des textes, au chapitre de l’écriture et de l’expression écrite.
J’ai enseigné la sociologie jusqu’en 2003. J’ai aimé passionnément mon travail, et je le dis avec une totale sincérité. Toutefois, j’en avais assez après 37 ans. Demander des travaux, réclamer souvent d’assez longs textes écrits, et les corriger avec toute l’attention nécessaire, cela devenait de plus en plus pénible. La qualité de la langue laissait de plus en plus à désirer, tout comme la capacité de bien saisir la signification d’un texte. Il fallait corriger la pensée et la langue.
Nous sommes en 2023, après une tragique pandémie, et j’entends sans cesse les récriminations de nombreuses personnes engagées dans le secteur de l’éducation.
Le mot qui revient régulièrement, mot souvent associé au sociologue Max Weber, c’est le mot « désenchantement ».
Récemment, j’écoutais avec intérêt la formidable Suzanne-Geneviève Chartrand, liée aux forums Parlons éducation, et je voyais et entendais des doléances liées au constat d’un recul quasiment global dans l’ensemble du système scolaire, 75 ans après le manifeste Refus global, 55 ans après l’établissement du nouveau système collégial, après la création de l’Université du Québec.
Je ne comprendrai jamais, cela étant dit sans élitisme mal placé, comment il se fait qu’au Québec et dans de nombreux pays dits occidentaux, on puisse faire des constats aussi lugubres en ce qui concerne l’école.
On dirait que l’inculture et la médiocrité ont le vent dans les voiles de l’histoire, dite postmoderne. C’est décourageant, déroutant.
La libération par l’école, on a été nombreux à y croire. Pouvons-nous envisager des solutions ? François Legault et Bernard Drainville devront être convaincants et efficaces.