Avaler des couleuvres (plutôt que des toasts au beurre de pinottes)

Pour pallier le sempiternel problème d’engorgement des urgences, on viendra puiser dans les ressources déjà inexistantes des étages, déplore l’auteur.
Photo: Annik MH de Carufel archives Le Devoir Pour pallier le sempiternel problème d’engorgement des urgences, on viendra puiser dans les ressources déjà inexistantes des étages, déplore l’auteur.

J’étais au poste des infirmières l’autre jour quand le téléphone a sonné. Il était 15 h 50. C’était pour aviser qu’il fallait deux TSO (temps supplémentaire obligatoire) à 16 h. Elles étaient deux infirmières les yeux brumeux à implorer de ne pas rester encore ce soir… J’étais une nouvelle fois témoin de cette violence ordinaire dans nos hôpitaux.

Il faut arrimer cette dure réalité des unités d’hospitalisation à celle des urgences. Le personnel des étages déjà à bout de souffle, qui fonctionne à coups de miracles depuis des mois, devra dorénavant les multiplier pour assurer le nouveau plan de surcapacité. Non seulement les infirmières des étages sont-elles déjà trop sollicitées, elles devront désormais assurer le suivi de patients installés dans les couloirs. Pour pallier le sempiternel problème d’engorgement des urgences, on viendra puiser dans les ressources déjà inexistantes des étages. La surcapacité n’amuse personne. C’est une approche pénible pour tout le monde qui rend le travail à l’hôpital encore plus difficile. Il est assez troublant de la voir présentée comme une « solution »…

J’ai lu avec intérêt la bienveillante lettre du ministre de la Santé Christian Dubé datée du 4 décembre et qui s’adresse à tous les Québécois. Je ne peux qu’en saluer l’ouverture et le souhait senti d’améliorer les choses. Mais je note une certaine déconnexion du terrain.

Par exemple, si l’ouverture des cliniques d’IPS (infirmières praticiennes spécialisées) est intéressante, en quoi aide-t-elle la crise des urgences actuelle ? Quand on parle d’une occupation des civières de 150 %, on ne parle pas des patients de la salle d’attente. On parle des patients déjà vus par les médecins et pris en charge. On parle de grand-papa Jean-Guy qui a nouvellement reçu un diagnostic de cancer de la prostate métastatique et qui fait maintenant l’influenza et a besoin d’oxygène. On ne parle pas de Nicole, 45 ans, qui a un rhume depuis quatre jours et qui n’a pas de médecin de famille. Jean-Guy ne sera jamais redirigé vers la clinique d’IPS. Nicole le sera, et c’est très bien. À la fin de la journée, le taux d’occupation de l’urgence sera encore de 150 %. La salle d’attente sera moins achalandée, mais les malades sur civière y seront toujours…

On nous annonce également deux hôpitaux privés dans l’est, comme solution au désengorgement. Ce qu’on dit moins, c’est qui y travaillera et qui s’y fera traiter. Le propre du privé est d’être rentable. On y traitera donc des patients en santé qui ne resteront pas hospitalisés trop longtemps et qui ne nécessiteront pas de traitements onéreux (implants, matériel et équipement, hospitalisation prolongée).

Nicole sera heureuse de s’y faire opérer pour sa hernie ombilicale dans un environnement moderne et propre. Le personnel sera heureux de rendre service dans un environnement moderne et propre… Jean-Guy, quant à lui, sera hospitalisé dans un hôpital vétuste mal ventilé et traité par des infirmières fatiguées, si elles ne sont pas déjà parties traiter Nicole…

Dans un monde aux ressources humaines limitées, il est difficile d’imaginer faire fonctionner en parallèle ces deux systèmes, du moins actuellement…

Le mois de décembre rime avec grippe, COVID et engorgement des urgences. Il marque également le retour de Ciné-cadeau et de la programmation des Fêtes de Télé-Québec. J’ai revu avec bonheur La grande séduction et me suis mis à rêver que nos gestionnaires avaient pris le temps de le faire également. Il y a de quoi s’inspirer pour rendre l’hôpital attrayant… Imaginons un hôpital où l’humain est en son centre : il y aurait un jardin communautaire pour les patients ambulants et le personnel, une salle de sport, une piscine… Dans notre crise des ressources humaines actuelle, il faut oser investir pour attirer.

Sachant qu’on vient de distribuer, depuis la fin 2021, 6,7 milliards de dollars en chèques, a-t-on vraiment les moyens de ne pas investir dans notre système de santé ? Soyons concrets : les fonds consentis à la construction du nouvel hôpital Maisonneuve sont de 2,5 milliards de dollars. La nouvelle évaluation du coût s’élève à 4,2 milliards. Avant même de commencer, donc, on planifie couper dans tout ce qui rendrait cet environnement de travail agréable et humain… et qui risquerait d’attirer ou de retenir son personnel…

J’ai également revu avec bonheur Astérix et Cléopâtre. J’ai eu un pincement au coeur en voyant les légionnaires romains quitter le champ de bataille en boitant : « Engagez-vous, qu’ils disaient. »

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