Conflit de priorités dans les garderies

De nombreuses familles appellent de leurs voeux un accès universel aux CPE. Elles rêvent d’une inscription à la garderie qui se révélerait aussi simple que celle à l’école du quartier. Or, il n’en est rien. Le besoin demeure criant. Et, bien que les privilégiés qui ont obtenu une place se montrent très satisfaits des services reçus, il n’en demeure pas moins que près de la moitié des parents avouent que l’admission s’est avérée fort ardue.
Gardons-nous de faire l’autruche. Avec le manque de ressources auquel nous sommes collectivement exposés, « un enfant, une place » a autant de chances de se réaliser à court terme qu’« un patient, un médecin de famille ».
Le pragmatisme est de mise et la priorisation, incontournable.
Jusqu’à tout récemment, les garderies établissaient elles-mêmes les critères qui guidaient leurs priorités. Suivant la recommandation du Vérificateur général, le ministère de la Famille a annoncé la semaine dernière son intention de reprendre les rênes de cet exercice délicat. L’attribution des places sera désormais revue, corrigée et, surtout, centralisée.
C’est une petite révolution qui se profile dans les garderies, et cela n’a pas manqué de faire réagir tous les acteurs concernés. Évidemment, tout un chacun applaudit la volonté du gouvernement d’établir l’accès des clientèles vulnérables en tant qu’ultime priorité. Il apparaît clair qu’un ménage s’imposait, et ce, afin de mettre un terme au recours à certains critères douteux.
Après tout, le projet de société que nous nous sommes donné avec la création des CPE arborait justement l’égalité des chances comme mission première. Il était grand temps de renouer avec ce noble objectif. Cependant, de nombreux commentateurs ont soulevé des inquiétudes légitimes par rapport à cet important changement de cap ministériel.
D’emblée, plusieurs ont exprimé de vives craintes par rapport à la classe moyenne. Pour la très vaste part des familles québécoises, un seul salaire ne suffit pas. Le contexte inflationniste actuel n’aide en rien. Comme en témoigne l’existence du groupe Ma place au travail, l’accès au marché de l’emploi demeure une préoccupation notoire. A fortiori, plusieurs milieux majoritairement féminins traversent une pénurie importante. La question qui entoure l’admission des enfants des infirmières, enseignantes, travailleuses sociales et psychologues se pose donc avec acuité. La nouvelle grille de pointage pénalisera-t-elle ces travailleuses qui, il y a à peine quelques mois, étaient qualifiées d’essentielles ?
L’abandon du critère de proximité géographique a également mis en lumière divers problèmes. D’une part, cette perte nuira sans conteste à la mobilité active que nous souhaitons tous encourager. D’autre part, ce rejet compromettra aussi les bénéfices moins quantifiables, mais très significatifs, qui découlent du fait d’octroyer une priorité aux familles du quartier, en l’occurrence les liens durables qui s’y tissent et la transition plus facile vers l’école. Il faut un village, comme on dit.
Le retrait de ce critère clé entraînera potentiellement d’autres conséquences, moins prévisibles. En effet, la création de places, brillamment allégée de sa lourdeur bureaucratique par le ministre Lacombe, se heurtera peut-être à de nouveaux obstacles induits par cette modification.
Il incombe ultimement aux municipalités d’accueillir ces places sur leur territoire. Or, dans nos villes où l’espace se fait de plus en plus rare, l’aménagement de tout nouveau projet, aussi louable soit-il, se heurte souvent à un manque d’acceptabilité sociale. Le critère de proximité géographique des garderies constituait jusqu’ici un des rares arguments favorables pour les villes qui tentent de répondre aux besoins actuels et futurs de leur population. Leur tâche s’annonce donc plus ardue. Et les familles en attente devront potentiellement s’armer d’encore plus de patience…
Bref, l’importance relative que nous accordons à tous ces critères mérite d’être soupesée.