Ce que n’est pas le serment d’allégeance

L’adoption d’une motion pour suspendre l’application de la loi obligeant le serment n’aurait nul effet juridique, précise l’auteur.
iStock L’adoption d’une motion pour suspendre l’application de la loi obligeant le serment n’aurait nul effet juridique, précise l’auteur.

Plusieurs interprétations du serment d’allégeance des députés ont été répétées par les protagonistes du débat pour refuser de le prêter. La majorité de ces interprétations sont fausses ou inexactes en droit, parce qu’elles ont déjà été rejetées par les tribunaux dans de nombreux jugements antérieurs.

Dans quatre causes différentes de 1992 à 2015, neuf jugements rendus par des cours en Ontario (eh oui, qui l’eût cru ?) se sont prononcés sur l’une et l’autre des objections soulevées récemment pour refuser de prêter le serment requis. L’état du droit est donc clair au Canada à ce sujet.

L’argument le plus souvent entendu est celui qui lit dans le texte de ce serment une allégeance à la personne même du souverain, une incongruité aujourd’hui ; les neuf jugements rendus ont tous rejeté cette interprétation littérale du texte du serment.

Selon les tribunaux, l’allégeance ne doit plus être interprétée comme étant à la personne même du roi, mais à la reconnaissance symbolique de notre forme de gouvernement et du principe démocratique servi par le système de monarchie constitutionnelle parlementaire.

L’autre argument souvent répété veut que le souverain soit un étranger, en l’occurrence un Britannique qui n’est pas citoyen canadien. Les tribunaux ont aussi rejeté cet argument. Depuis 1953, avec l’adoption par le Canada d’une loi sur les titres royaux, le souverain mentionné dans le serment est le monarque du Canada, tout à fait distinct dans son existence légale de celui du Royaume-Uni, même s’il s’agit de la même personne qui porte les deux Couronnes. C’est à la Couronne que le serment renvoie et non à la personne physique ; les neuf jugements mentionnés ont tous confirmé cette interprétation.

Un argument additionnel veut que le serment soit une violation de la liberté de conscience et de religion, et de la liberté d’expression (protégées à l’art. 2 de la Charte). Les tribunaux ont aussi écarté cet argument. L’explication est simple : en portant allégeance à l’ordre constitutionnel prévalant actuellement, le député reconnaît la validité de la protection dont il bénéficie sous la Charte, et, par conséquent, peut librement exprimer des positions républicaines ou laïques à l’encontre de l’ordre tel qu’établi.

D’autre part, selon les cours, le fait que le souverain soit, au Royaume-Uni, chef de l’Église anglicane n’a aucun effet au Canada, puisqu’il n’y a pas d’église établie au pays qui jouit d’un statut constitutionnel reconnu.

Dans le texte du serment, le mot « Roi » doit être interprété comme équivalent à « État », et « Couronne » au sens abstrait du terme. En d’autres mots, c’est au principe de l’ordre constitutionnel qu’est la démocratie parlementaire telle que constituée au Canada, et aux droits et libertés qui y sont reconnus et protégés, que le serment vise à porter reconnaissance.

En rien la réalité politique se rapportant au souverain telle qu’elle existe au Royaume-Uni n’est couverte ou incluse dans le serment d’allégeance prévu à la loi constitutionnelle de 1867. Quant à l’argument que le texte original est uniquement en langue anglaise, le Québec a refusé en 1998 de se joindre à une procédure qui visait à adopter une version française officielle de la loi de 1867, et du serment qu’elle contient.

L’adoption d’une motion pour suspendre l’application de la loi obligeant le serment n’aurait nul effet juridique : la manière légale de suspendre l’application d’une loi est l’adoption d’une autre loi, à moins qu’il y ait une disposition précise qui le permette, ce qui n’est pas le cas ici.

L’approche qui chercherait par une loi provinciale à amender l’article 128 (qui prévoit le serment) et à en changer le texte est problématique ; il s’agit d’une modification qui engage l’ordre constitutionnel d’ensemble s’appliquant à toutes les provinces et au fédéral et ne pourrait être validement adoptée dans l’état actuel du droit sans l’unanimité des gouvernements concernés (art. 41, loi de 1982).

Si le Québec décidait de procéder ainsi, il serait sage de transmettre au préalable la question à la Cour d’appel pour éviter la nullité postérieure de toutes les lois qui auraient pu être adoptées entre-temps. L’affaire Forest au Manitoba a vu toutes les lois de cette province (plus d’un millier !) adoptées depuis 1890, annulées en 1979 par la Cour suprême !

Le chaos juridique n’est pas ce que l’on souhaite dans les circonstances. La règle de droit qui encadre le débat politique demeure la garantie de l’exercice de nos libertés.

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