Le Parlement fédéral ne respecte pas la Charte

Le Parlement canadien reprend ses travaux aujourd’hui. Chaque jour, la Chambre des communes continuera d’imposer la lecture d’une prière par le président de la Chambre aux députés et greffiers présents, avant d’ouvrir les portes au public. Cette pratique, maintes fois critiquée, met à mal la neutralité religieuse de l’État. Mais il y a plus.
Alors que la liberté de conscience fait partie des droits et libertés protégées par la Charte canadienne ; alors que la Cour suprême s’est clairement prononcée, en 2015, contre la récitation de la prière par des représentants de l’État dans le cadre de leurs fonctions ; alors que des députés ont clairement demandé, à plusieurs reprises, le remplacement de cette prière par un moment de recueillement, en tout respect de la liberté de conscience de toutes et tous ; le Parlement persiste et signe : la prière à la Chambre des communes semble là pour de bon.
Il est vrai que les assemblées législatives et le Parlement ne sont pas tenus de se soumettre aux décisions de la Cour suprême. C’est donc en toute légitimité que le Parlement a choisi de ne pas tenir compte de la décision de la Cour suprême concernant la prière. C’est un peu comme si le Parlement utilisait une clause dérogatoire pour maintenir cette tradition à la Chambre des communes, en dépit des droits et libertés. Ainsi, nul besoin pour lui de justifier l’atteinte à la liberté de conscience ou à la neutralité religieuse de l’État, le Parlement est souverain.
Posture idéologique
Est-ce pour affirmer le caractère religieux du Canada, tel qu’inscrit au premier article de sa Constitution, que le Parlement maintient la prière à la Chambre des communes ou est-ce par idéologie politique, pour contrer la volonté de laïcité de l’État du Québec ?
Il faut savoir que la motion du Bloc québécois proposant de remplacer la prière par un moment de réflexion a été défaite par tous les députés libéraux sauf un et par la majorité des députés conservateurs. Les deux députés verts et presque tous les députés néodémocrates l’ont appuyée.
Ce débat ne fait pas seulement couler beaucoup d’encre au Québec. Des Canadiens se sont également joints au débat. En effet, l’Association des humanistes de la Colombie-Britannique a organisé une campagne de lettres s’adressant aux députés pour demander de mettre fin à ces prières. Pour eux, « cette tradition ouvertement religieuse et chrétienne porte atteinte au devoir de neutralité de l’État en privilégiant la croyance par rapport à l’incroyance ».
Cette association, qui travaille assidûment auprès des conseils municipaux de plusieurs provinces anglophones pour faire appliquer le jugement de la Cour suprême à cet égard, a été abasourdie par le fait que certains députés ont affirmé n’avoir jamais entendu parler d’électeurs préoccupés par cette pratique. Cette posture nie de toute évidence les demandes répétées de nombreux citoyens, associations et partis politiques.
Ainsi, une question se pose : sur quelle base les députés se sont-ils appuyés pour utiliser leur privilège parlementaire afin de contrer une décision de la Cour suprême et de refuser le remplacement de la prière par un moment de réflexion ? L’ont-ils fait par conviction personnelle, pour répondre à un lobby religieux ou pour s’opposer à une demande qui venait du Bloc québécois ?
Quelle que soit leur motivation, le peu d’égards des députés fédéraux envers le respect de la liberté de conscience, reconnue pourtant par la Cour suprême, explique vraisemblablement leurs critiques ou leur incompréhension de la Loi sur la laïcité de l’État (projet de loi 21), laquelle s’appuie, entre autres, sur le principe de la neutralité religieuse de l’État et sur le respect de la liberté de conscience et de religion.